Le printemps affectait assez peu l'apparence du golfe d'émeraude, plus rythmé par les humeurs de la mer que par celles des saisons. Cela n'empêchait pas la végétation de relever le nez de la sieste ronflante qu'elle avait entamé il y a de cela quelques mois, et les quelques plantes naturelles qui parsemaient les plateaux présentaient quelques bourgeons. Chez lui, on était plus enthousiaste : le potager était certainement l'endroit le plus vivant du territoire, tant il attirait la faune et parfois la flore environnante, amenée là par une bourrasque de tempête égarée. Sinistros était le maître de son microcosme et organisait la vie d'un bon kilo de navets, de quelques bottins de carottes, ainsi que de ses deux superbes plantes carnivores, rendues très enthousiastes par l'apparition de mouches égarées. Quant aux escargots et limaces, il tolérait leur présence : non seulement ils n'étaient pas bourguignons, ce qui les rendaient plus enthousiastes à l'idée de vivre, mais en plus ils laissaient parfois des trous dans ses laitues qui leur donnaient un petit côté fashion-forward tout à fait seyant. Il est après tout difficile de rendre de la laitue affriolante.
Le bai détourna son regard du couple de gastéropodes sur lequel il avait posé ses pensées, ce qui ne leur avait pas empêché de s'enlacer, sécrétant par la même occasion une quantité phénoménale de bave. Il faudrait que Sinistros s'adresse à Cyrius : il était convaincu que cette production mousseuse était parfaite pour lancer une gamme de soin pour la peau made in trompeur, à défaut d'être comestible (ce n'était pas faute d'avoir essayé).
Il reposa les yeux sur le vrai problème : l'herbe complètement dérangée, les choux et courgettes déterrés, et la sensation persistante que, depuis quelques jours, on se faufilait en son domaine pour en subtiliser certains fruits et légumes.
Sinistros ne possédait pas de fourche - il faudrait songer à mettre en place une collaboration agraire avec les terres Orphelines et vérifier si, dans les recoins de leur demeure hantée, ne se trouvait pas de quelconques outils pointus ou fantômes d'agriculteurs - et n'avait pas non plus d'épouvantail à disposition, bien qu'il ait été convaincu que si Cyrius était resté suffisamment immobile pendant assez longtemps il aurait rendu n'importe quel chapardeur aveugle par le seul poids du regard des deux yeux qu'il n'avait pas implantés sur le front.
Son état de santé ne lui permettait qui plus est pas de veiller. Ses galipettes dans les ronces en compagnie de Coeur Noir avaient laissé son honneur intact, mais sérieusement impacté ses lombaires. Fort heureusement, si son corps était abîmé, il conservait d'inépuisables ressources d'énergie, et il tentait de trouver aujourd'hui une solution au problème qui n'impliquait pas le génocide de toute la population lapine d'Horse-Wild.
Dont il était plutôt certain qu'elle vivait dorénavant dans des terriers implantés autour de son potager. Ils creusaient des tunnels. Il le savait. La lutte serait longue...
Il n'était cependant pas certain que les infractions aient été commises par des lapins. L'herbe aplatie, l'odeur étrange flottant dans les airs, la prédilection pour des fruits et légumes lourds à transporter... Il s'agissait peut-être, en réalité, de TRÈS GROS lapins.
Sinistros fit un pas en dehors de son potager, ses hypothétiques sourcils froncés sur la théorie des mutations domaniales. Si seulement il avait eu un fin limier à sa disposition, comme la truffe parfois un peu trop efficace d'Oklaan ! La quête du voleur eût été entamée et conclue. Il hennit quand même, tentant d'attirer à lui le hasard ou Cyrius, ce qui revenait souvent à la même chose. Son dominant aurait fait un superbe setter irlandais.
Blind Spot regrette rarement le monde des hommes, si ce n’est pour la façon dont il avait le don de rendre sa vie bien plus facile. Le monde extérieur, malgré sa dangerosité, n’est pas si mal, et son confort d’écurie lui manque de moins en moins. Force est de constater, cependant, qu’il aurait dû rester un peu plus longtemps là-bas pour étudier plus en détails les chiens du haras. Avoir un compagnon, c’est très bien, mais son dingo est une bête que l’étalon aimerait bien avoir su apprivoiser. Dantès a un caractère bien plus trempé qu’au premier jour et n’en fait un peu qu’à sa tête. Il est utile, bien sûr, et une présence agréable, et il ne s’est pas pris d’arbre depuis la dernière fois… Mais il aime bien le rendre confus.
Il s’agit, après tout, d’un individu à part entière qui sait très bien ce qu’il fait.
Plus encore qu’un guide, Dantès s’avère également être un protecteur; petit certes, mais pas moins capable de le défendre contre des menaces qu’il ne peut pas voir, et surtout, très possessif. Blind Spot se demande par moments si ce n’est pas lui, le compagnon, au final. Il lui manque lorsque le dingo décide de prendre un jour de congé et de disparaître de la surface de la terre pour environ 24h avant de réapparaître le lendemain, comme si de rien n’était.
Entre temps, l’aveugle se perd, et il n’est pas bien sûr d’avoir mis un pied sur les Terres Secrètes depuis l’intronisation de Naëlle. Cyrius l’a-t-il seulement raccompagné vers la bonne frontière, ou l’a-t-il fait tourner en rond? Les dieux seuls le savent, lui n’en a aucune idée et il ne sait pas non plus où il peut bien se trouver à cet instant précis. Dantès n’est pas d’une grande aide, le guidant principalement vers une destination qu’il ne connaît pas. Lui n’a pas d’objectif précis en tête, peut-être que son dingo en aura un. Il change machinalement de direction après un aboiement calme à sa gauche, et le silence arrive à nouveau, seulement brisé par leurs bruits de pas respectifs. Les siens sont lourds et aplatissent le sol meuble, alors que ceux de Dantès remuent à peine l’herbe et lui donnent l’avantage de ne pas se faire repérer.
Dantès se met à grogner et Blind Spot s’arrête net, déjà habitué à tout plaquer pour scanner les environs lorsque le dingo devient agressif. Il ne détecte rien, cependant, quelques bruits un peu plus loin et des odeurs de nature à tous les coins de rue… Pas de danger imminent, à sa connaissance, donc. Il se demande pourquoi son compagnon peut bien s’énerver lorsqu’il le sent (plus qu’il ne l’entend) déguerpir à grande vitesse avec un dernier aboiement. Sans réfléchir bien longtemps, il le suit au trot alors qu’il l’entend bien disparaître, le bruit de sa galopade accompagné d’un couinement autre. Il repasse au pas.
- ...Dantès?
Il continue d’avancer, sa concentration un peu brouillée dans sa confusion. S’il rentre dans quelqu’un ou quelque chose, ce sera elle la responsable. Il a un chien à chercher.
Sinistros.
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Sujet: Re: Panpan cucul [PV] Mar 26 Mar 2019 - 14:45
Le hasard se manifesta sous la forme d'un trépignement précipité que Sinistros entendit venir, campé sur ses cinq membres. Un vague relent de Coeur Noir lui remonta en tête et il l'imagina sur sa monture blanche, brandissant une épée étincelante, venant le délivrer de ses ravisseurs lapinesques qui l'avaient réduit en esclavage et condamné à astiquer leurs carottes...
Puis il songea au fait que Coeur Noir était lui-même un cheval et qu'un cheval montant un cheval ne donnait que des résultats aérodynamiques fort décevants.
Lui-même avait toujours été partisan d'une invention spécifiquement équine permettant de couvrir de grandes distances plus facilement. On aurait ainsi donc pu inventer quelque chose comme l'équi-pédalo ou encore le vélo équestre, bien que ce qu'il ait véritablement, réellement désiré, c'était de ne plus reconnaître personne en Harley Davidson.
Il en était là, creusant la piste de l'aéronef chevalin comme un Léonard de Vinci des temps modernes (avec un talent en dessin un peu plus médiocre mais tout à fait convenable pour quelqu'un qui ne possédait que des sabots), lorsque surgit une furie rousse, qui courrait derrière un lapin fort rapide. Sinistros allait péniblement réciter la morale de la fable de la Fontaine qui lui venait à l'esprit, lorsqu'il réalisa qu'il s'agissait d'une poursuite et non pas d'un entraînement pour les prochains jeux olympiques (que les terres trompeuses organiseraient bien évidemment... Les terres orphelines possédant des infrastructures trop insalubres, et les terres secrètes étant susceptibles d'égarer les sportifs dans la brume).
Le lapin poussa un couinement qui alerta tous ses congénères avant de parvenir à s'enfoncer dans un terrier, jetant à la face du prédateur une pleine volée de terre.
Sinistros avança avec un intérêt tout à fait manifeste - c'était à peine s'il ne jubilait pas.
" Oh le beau spécimen ! La belle bête ! L'admirable individu ! "
... Mais qu'est-ce que c'était, au juste ? Il avait cru à un chien ou à un renard ayant pris des stéroïdes lorsqu'il avait débarqué (on préparait les jo discrètement...), mais la bête bien qu'un peu terreuse qu'il avait sous le nez ne ressemblait à rien qu'il ait connu...
Bientôt pourtant un autre trépignement se faisait entendre. Survint un être plus reconnaissable, d'un bai plus foncé que le sien, attiré lui-aussi par le hasard ou encore par les lapins, s'il advenait qu'il ait s'agit là d'un chasseur ou d'un cheval carnivore.
Le chien renard sembla manifester un intérêt pour l'inconnu qui indiqua à Sinistros qu'il s'agissait peut-être là de son compagnon, qu'il décida donc d'héler :
" Bien le bonjour, mon brave ! Connaîtriez vous la race de ce merveilleux animal, ou s'agirait-il là d'un croisement de votre invention ? "
Il osait du moins espérer que si croisement il y avait entre renard et chien, ce dernier était fait dans des conditions respectueuses des désirs des animaux impliqués. Sinon, il devrait établir un petit rapport à l'autorité de protection des animaux domestiques du rp, qui ne chômait pas sur les cas de maltraitance animale. Principalement parce qu'elle était composée de lui-même et d'Amaranth, lorsqu'il fallait soigner un quelconque oisillon tombé du nid.
Sujet: Re: Panpan cucul [PV] Dim 5 Mai 2019 - 15:24
Blind Spot ne regrette pas sa trouvaille, ne pense pas avoir de remords face à son nouveau compagnon. Dantès est utile et agréable et d’une compagnie qu’il ne peut qu’apprécier depuis qu’ils ont appris à se connaître. La barrière de langage tente de les séparer de temps à autres, mais ils finissent toujours pas revenir où ils en étaient. Ils s’entendent bien. Son canidé guide d’aveugle est peut-être l’une des meilleures choses qui lui soient arrivées. Ce qu’il regrette, cependant, c’est d’avoir bien trop vite pris l’habitude de s’appuyer complètement sur les directions et les choix de la bête qui l’accompagne, au point d’être perdu lorsqu’il disparaît si soudainement.
Le pur-sang ne sait pas où il est et n’a aucune idée de ce qu’il peut bien y avoir sur son chemin, abandonné à son sort par le guide sur lequel il ne devrait pas autant compter. Chaque pas est fait avec prudence pendant qu’il tente de localiser le but de son chemin. Le doute s’installe dans sa tête, et si Dantès ne revenait pas? Aucun risque, cependant, lui répète son esprit, la bestiole est bien trop attachée à lui maintenant pour l’abandonner. Alors qu’il avance, il entend avec surprise une voix loin devant. Un autre individu se balade ici, il n’est donc pas si perdu que ça… C’est son meilleur choix et il prend cette direction sans hésiter. Alors qu’il se rapproche, la présence assez rassurante de son compagnon revient dans ses antérieurs et il prend une seconde pour souffler. La voix entendue plus tôt est maintenant en face de lui, un cheval qu’’il peut maintenant localiser plus précisément.
Pouvoir faire un croisement d’animaux semble une tâche très ardue qu’il ne se voit pas capable de faire un jour, mais la perspective d’avoir l’air assez intelligent pour le faire est presque flatteuse.
- J’ai bien peur de ne pas m’y connaître en génétique, mais on m’a informé qu’il s’agissait probablement d’un dingo. Une sorte de chien sauvage, si j’ai bien compris.
Reste le problème posé par la disparition soudaine de ce dit chien sauvage, qui devrait savoir que l’abandonner au milieu de nulle part n’est pas une chose à faire. C’est pourtant lui, le possessif. Mais il s’agit tout de même d’un prédateur à son niveau et il a probablement trouvé une raison valable de le laisser en plan; de toute façon, Blind Spot se voit mal le réprimander, et décide à la place de demander des informations à l’inconnu, qui aura peut-être vu quelque chose.
- Qu’était-il donc en train de chasser?
...N’aurait pas dû être sa première question, mais il n’a pas pensé à demander où ils étaient avant. Tant pis.
Sinistros.
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Le magnifique goupil partageant quelques attributs avec Ysengrin s'en retourna entre les jambes de celui qui était venu le chercher. Sous terre, les lièvres s'agitaient. L'irruption du canidé avait pour mérite de les troubler. Les terres trompeuses ne possédaient pas assez de prédateurs ; elles s'attachaient trop à leur nom et se contentaient de posséder des carnivores ou des charognards sournois, moins évidents et moins efficaces, ainsi qu'une véritable pelletée de crabes. Sinistros avait bel et bien tenté de convaincre quelques crabes de devenir les gardes du corps de son jardin d'Eden personnel, mais ils n'avaient pas eu particulièrement envie de pincer les fesses cotonneuses des pillards du potager, aussi s'était-il contenté de ses deux plantes carnivores... Ainsi que d'autres spécimens, autrement plus intéressants, qui n'étaient encore qu'à l'état de plantation.
Le bai dévisagea son interlocuteur et maître de la bête fabuleuse. Il remarqua aussitôt deux yeux d'un bleu tout à fait extraordinaire.
Une pensée naquit immédiatement : si on était aveugle, c'est parce qu'on s'était trop souvent mastur...
Le bai fronça d'imaginaires et impressionnants sourcils. Qui donc lui avait inculqué cette curieuse notion ? Était-ce là un élément de son passé qui sortait des tréfonds de son inconscient ? Et puis, si cela avait été vrai, voilà depuis belle lurette qu'il aurait été...
Laissant de côté ces considérations, Sinistros écouta les propos de l'autre, se demandant s'il était perdu ou, au contraire, parfaitement conscient de l'endroit où il était. La bête lui servait-elle de guide ? Voilà qui était d'un altruisme surprenant pour un prédateur ; qu'obtenait-donc en échange cet animal contre ses loyaux services ? " Un dingo, " marmonna-il, baissant la tête pour mieux détailler le phénomène, " Voilà une chose que nous avons en commun... "
Il la redressa aussitôt.
" Un lièvre ! Une créature des plus viles, des plus malfaisantes qui soit. Il n'est nullement surprenant que de la Fontaine en ait fait un mauvais exemple dans sa fable. Si on en croit les rumeurs, les lièvres ont eux été victimes de malencontreux croisements qui se retrouvent dans les forêts allemandes, et qui les voient affublés de bois de cerfs et de crocs tranchants... Ces créatures là se dénommant les Rasselbock ! Mais ne craignez-donc rien ; ceux-ci ne sont que d'ordinaires léporidés, dont la principale préoccupation est de manger et se reproduire à outrance. Qui plus est, il semble fort possible au vu d'événements récents qu'ils ne soient pas les parasites les plus dangereux de cette île. "
Sinistros jeta un coup d'oeil à son potager.
" Vous aimez les poivrots ? Ou les poireaux ? Votre compagnon a une bonne truffe, mais je doute qu'il apprécie les champignons du même nom. Si votre préférence va aux fruits, j'en ai aussi. A vrai dire, j'aurais besoin que quelqu'un goûte à mes framboises. Mais je me présente : je suis Sinistros, légumiste des terres trompeuses. Cette occupation restreint malheureusement le champ de mes activités, mais elle me permet de tailler dans le relief de ces terres un bien fier potager. "
La réponse à sa question ne se fait pas attendre, et Blind Spot sursaute presque devant l’enthousiasme de son interlocuteur. La capacité de Dantès à se jeter après des lièvres ne le surprend pas mais le rassure tout de même sur le fait qu’il n’a attaqué personne: la suite des paroles de l’autre cheval le rassure cependant bien moins, et il baisse les oreilles. Des bois de cerf? Des crocs tranchants? Voilà des armes bien trop dangereuses qu’il n’a aucune envie de rencontrer, et toute forêt lui paraît maintenant bien peu sympathique. Il vaut mieux que les bêtes se cantonnent à l’Allemagne.
- J’ose espérer que les Rasselbock ne décident pas de migrer. Avec quoi ces lièvres ont-ils donc été croisés pour donner de si viles créatures?
Il enregistre rapidement le commentaire final sur les menaces pesant sur l’île; un geste qu’il regrettera plus tard, trop occupé par sa nouvelle peur de créatures de cauchemar pour songer à ce qui pourrait bien venir perturber la paix pour de vrai.
L’autre étalon se présente alors, avec un nom simple qu’il a de la chance d’avoir. Il l’informe tout en même temps qu’ils sont sur les Terres Trompeuses, et l’espoir qu’entretient Blind Spot d’enfin visiter ses propres terres retourne camper dans le fin fond de son esprit. Sinistros semble avoir un penchant pour les longs discours, et il le laisse calmement finir de parler en prenant le temps de retenir toutes les informations nécéssaires à une réponse satisfaisante. Un légumiste, c’est une première. Cyrius ne lui paraît pas être le genre de dominant ayant besoin d’un potager sur ses terres.
- Enchanté, Sinistros! Je suis Blind Spot, handicapé officiel des Terres Secrètes, répond-il tout de même avec entrain. Je n’ai jamais été un grand fan des poireaux, malheureusement, mais si jamais vous avez besoin d’un cobaye pour vos framboises n’hésitez pas. Je ne doute en tout cas pas de la beauté de votre potager.
Il tourne la tête sur ses côtés, un peu inutilement, voyant cependant bien que son interlocuteur est seul. Si cette activité occupe une grande partie de ses journées, n’aurait-il pas besoin de compagnie? Blind Spot sait que lui en voudrait, à sa place.
- Légumiste à vous tout seul, voilà qui doit être bien fatiguant. Avez-vous songé à recruter un second?
Sinistros.
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La migration des Rasselbock aurait fait un bien beau sujet de thèse, mais Sinistros avait déjà complété la sienne - et quelques quatre-vingt dix mille autres - sur la reproduction du lamantin. Le reste de la question de son interlocuteur le plongea dans des considérations éthiques sur l'expérimentation génétique, souvent pratiquée par l'homme qui, dans sa cruauté coutumière, se préoccupait peu des désirs de l'animal. Il était cependant fort peu probable que le Rasselbock ait été un rescapé de laboratoire. Les humains étaient aussi dotés d'une imagination vive, et ils créaient grâce à cette dernière des êtres plus extraordinaires que les chimères de la science, qu'il admirait mais qui contraignait si souvent l'esprit dans des préoccupations étriquées, dépourvues de fantaisie.
Personne n'aurait dit de son esprit à lui qu'il manquait de fantasque.
En revenant aux potentielles expérimentations de l'étalon bai, il décida de ne pas lui donner d'indices sur ce qui composait le Rasselbock - s'il mentait et était véritablement un savant fou créant de nouvelles espèces, il ne pouvait faciliter ses délires mégalomaniaques.
Un délire mélomane était souvent plus agréable. Ah, si les chevaux avaient su faire de la musique !
Sinistros adressa un autre coup d'oeil affectueux au dingo de celui qui se présentait à l'instant, puis pris le pas jusqu'à son potager tout proche, prenant soin de frapper les quelques cailloux qui fendaient l'herbe. Cela permettrait à l'aveugle de savoir où il allait et l'informerait sûrement de la présence de ces petits obstacles.
Les petits obstacles étaient parfois les plus dangereux.
" Vous êtes bien loin de vos terres, " commenta-t-il d'un ton bienveillant, " Votre dominante vous y traite bien ? "
L'entrée du potager était toujours fidèlement et férocement gardée par ses deux plantes carnivores, qui ne s'intéressaient cependant pas à la chair équine, fusse-t-elle malvoyante. Empruntant l'allée qui mènerait aux framboises, assailli comme d'habitude par les mille parfums de fleurs, de fruits et de légumes, Sinistros intima à son interlocuteur de le suivre.
" Les voici. Venez à ma droite. Baissez la tête jusqu'à frôler la terre. Vous devriez les sentir. "
La question de Blind Spot le laissa songeur - il avait après tout souvent déploré la perte de ses activités de recherche, le potager grappillant beaucoup de son temps.
" Je l'ai fait, mais il me faut encore trouver un véritable Tistou les pouces verts. Je songeais récemment à embaucher l'un des enfants de Cyrius. Il en a bien assez, et il faut bien que l'un d'entre eux se spécialise d'en autre chose que la dominance s'il ne veut pas qu'ils s'entretuent plus tard pour le trône. Mais je n'ai pas encore consulté les articles de loi concernant le travail des enfants. Je ne voudrais pas exploiter un bambin par mégarde, voyez-vous. "
