À l'impériale [pv — Hallelujah]

À l'impériale

Brod voltigeait comme une gazelle gracieuse à travers la savane, les oreilles légèrement flasques, la truffe fumante et le poitrail gorgé d’écume brûlante, virile et quelque peu nauséabonde. Il ressemblait plutôt à un gros éléphant qui fait trembler la terre à chaque pas. Une exagération, évidemment, qui restait l’impression que l’étalon avait de lui-même. Il s’en voulait d’être si pataud, destructeur. Lui rêvait d’une grâce divine, d’un toucher d’une douceur incomparable. Il s’imaginait flotter au-dessus de l’herbe, à peine la plier sous son passage, ne faire que frôler les troncs d’arbre et ne pas rider la surface de l’eau en volant au-dessus du lac.

Le gros Irish s’écrasa dans un lac. Un plongeon digne d’un hippopotame en manque d’eau. Heureusement, Brod n’avait pas dans l’idée de leur piquer, en plus de leur carrure de déménageur de l’extrême, leur magnifique façon de marquer leur territoire. Il restait, dans son extrême malheur, plus gracieux que ça.

Le grand noir déplaçait plus d’eau qu’un troupeau de bisons en plein galop. Il se demanda si rejoindre l’autre rive à la nage lui suffirait à dessécher le lac. Peu probable, mais la pensée le gêna tout de même. Pourquoi lui avait-on donné un corps comme celui-ci ? Qu’avait-il de bien pour lui ? Brod loucha sur son reflet dans l’eau claire. Certainement pas ce casque blanc qui, en évitant ses yeux, rappelait sans conteste un crâne équin ! En revanche…

Hé ! Regarde ça !

Tout fier de lui, Brod releva brusquement la tête et se retourna. Dans sa maladresse infinie, il se prit les pattes entre elles et plongea tête la première dans le lac. Il en ressortit aussitôt, tout dégoulinant d’eau, et se secoua fortement pour en enlever un maximum. Sa belle moustache, grâce au liquide, brillait et rebiquait à la manière d’une moustache à l’impériale qui ne manquait pas de charme. L’étalon ne pouvait plus attendre. Il devait montrer ça à sa fille ! Il avait bien besoin de compliments.

L’Irish zieuta l’horizon, persuadé d’avoir été suivi par la petite chose rousse. Non ? Depuis combien de temps ne courrait-elle plus derrière lui ? Avec son gros toupet, le vent dans les oreilles et une concentration limitée, Brod ne s’était pas rendu compte de son absence. Maintenant qu’il était immobile, les crins collés sur un côté du visage, il prenait conscience de sa bêtise. Pourrait-il jamais être un bon père ? La réponse semblait simple, voire évidente : non.

Que devait-il faire maintenant ?
Brod n’en avait pas la moindre idée.

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

So I stand up, start to pace in my living room. Set my eye to the highway knowing that I'll play chicken soon. There's a vanity plate with my name on it. There's a Davey Crockett hat with a Masonic fat cat under it. A musket rifle spitting at my feet. They want me to dance in the middle of the street. And I respect my elders, so I do as I'm told. But I offset the bell curve when I do it with soul, losing control. (c) Sage Francis

Un regard dans le reflet que me renvoyait l'eau du Golfe et j'eus un petit sourire. Je suis réellement devenue magnifique. Si je suis narcissique ? Sans aucun doute, mais ne faut-il pas avoir un minimum de confiance en soi pour réussir dans la vie ? Ne faut-il pas s'aimer un minima pour pouvoir apprécier la vie qu'on nous a donné ? J'en suis convaincue. Maman n'avait pas autant confiance en elle, c'est sûr. Oh, elle se savait certainement belle, c'était un fait. Mais était-elle consciente du potentiel qu'elle avait ? Savait-elle qu'en étant intelligente comme elle, elle pourrait réellement réussir dans la vie ? Je ne suis pas sûre, sachant qu'elle était partie dorénavant. Mais où était-elle partie ? Dans son ancien pays ? Dans sa contrée ? Dans le pays où sa famille a abusé d'elle ? Si c'était le cas, cela me prouverait une seconde fois qu'elle était, soit maso, soit complètement con. Comment une jument, soi-disant violée, pouvait-elle retournée dans le bled où elle avait vécu souffrance et meurtre ? Ouais, elle était con, effectivement. Je ne deviendrai jamais comme elle, c'était certain. Jamais, je ne retournerai dans un lieu où on m'a fait du mal, c'était interdit. Finalement, je détourne le regard et observe autour de moi. Ce lieu était ma maison, je ne l'abandonnerait jamais. C'était certain. Mais quand je dis ce lieu, je ne parle pas seulement de ces terres, non, je parle de cette île entière. Je ne la quitterai pour rien au monde, je me le promettais.

Finalement, je frappe brutalement l'eau du golfe de mon sabot et me cabre avec violence. Je jetai mes antérieurs en avant, tout en poussant un profond hennissement. Un jour, je deviendrai reine, je me le promet. Ce que tous savent, c'est que j'ai hérité de la confiance de mon père. Je suis aussi ambitieuse que lui, malgré qu'il ne le montre pas réellement. Aussi sarcastique que lui, ça tout le monde l'aura remarqué. Mais surtout, je suis devenue aussi patriote que lui ... Mon peuple deviendra ma maison. Si l'un d'eux meure, je le rejoindrais sans hésiter. Ils sont mon unique famille. Rapidement, je redépose mes antérieurs sur le sol, m'ébroue un bon coup et fait demi-tour presque trop vite, puisque mes sabots s'emmêlèrent entre eux. J'ai bien envie de faire un tour sur l'île et découvrir des endroits que je n'ai encore jamais vu. Alors sans hésiter une seule seconde, je prend le trot et me dirige à l'extérieur de mes terres. J'avais besoin de voir autre chose. Rapidement, je pris le galop et traversa les terres Orientales, puis enfin les terres Neutres. Cratère, Braises, etc, tout dévalait devant moi sans que je n'y fasse réellement attention.

Au bout d'un certain moment, mes sabots se retrouvèrent sur un sol humide et mousseux. Je penche alors la tête sur le côté, une oreille droite et une autre en arrière. Ca puait l'humidité et en même temps, il y avait un air pur que je ne connaissais pas encore. Alors, je redresse la tête et observe autour de moi, mes sabots s'enfonçant légèrement dans le sol tels des ventouses. Plusieurs grands lacs se présentaient à moi. Alors, je compris rapidement où j'étais : la Région des Grands Lacs. Papa m'en a beaucoup parlé mais je n'y étais pas encore allée, maintenant j'y étais et je comprenais parfaitement l'intérêt de certains. C'était magnifique et en même temps tellement énigmatique. Je fis un pas en avant, un bruit légèrement disgracieux sortant du sol et secoua la tête. C'était vraiment étrange ici. Soudain, un bruit et une voix se firent entendre. Je tourne alors la tête vers l'origine et ne remarqua rien, rien qu'une odeur de mâle. Un mâle venant des Secrets. Aurore ? Non, Aurore sentait meilleur. Là, on dirait plutôt une odeur de mammouth mélangée à celle d'un taureau mouillé. Ouais, ça puait quoi.

Intriguée, je finis par me mettre au pas et me diriger vers l'origine de l'odeur. Bon okai, c'était beau mais alors qu'est-ce que ça puait la vase à certains endroits. Au bout de plusieurs minutes de marche, je tombai sur un cheval noir dans l'eau. Un cheval à la même carrure que Yavin : c'est pas vrai, décidément les mammouths ne font qu'investir ces lieux. Et en plus, il parlait tout seul celui-ci. Décidément, entre les mammouths et les fous, j'étais servie. Je m'arrêtai à la berge du lac et posai mon regard l'étalon noir.

" C'est une sacré moustache que vous avez là, dîtes-moi ! " dis-je avec un sourire moqueur et une certaine curiosité.

Brod ne comprenait pas comment il avait pu laisser faire cela. Sa fille, sa petite bête toute rousse, la belle chose qui remuait derrière lui en poussant des petits cris tout mignons… Sa propre fille !! Il l’avait perdue, aussi facilement, naturellement, que l’on perd ses clés après une soirée trop arrosée. Comment pouvait-il se proclamer père ? Ne serait-ce qu’espérer qu’on le reconnaisse comme tel ? Il ne méritait pas cela. Personne ne devrait jamais « oublier » sa fille quelque part. Que dirait la belle Commedia si elle savait à quel point il était incapable de s’occuper de Crystae ? Il préféra ne pas y penser. Au fond de lui, le gros noir avait peur de recevoir les mêmes critiques qu’il avait pensées, sans jamais les formuler, à l’égard de son père, puis de sa mère. Il voulait croire qu’il pouvait être quelqu’un de bien, de différent que ses propres parents.

Le grand noir releva la tête et soupira tout l’air de son corps. Par où devait-il commencer à chercher ? Maintenant qu’il était tombé par deux fois dans ce lac, qu’il s’était retourné dans tous les sens, il n’avait pas la moindre idée de l’endroit d’où il venait. Si, par mégarde, il prenait la mauvaise direction… Il ne retrouverait jamais la petite bête qu’il venait à peine de trouver, si habile sur ses longues perches, si fragile dans son corps d’enfant. Que faire ? Que faire ?

L’esprit en ébullition, le gros Irish sursauta en entendant une voix. Il releva le nez, tourna la tête vers l’inconnue et la toisa intensément, comme une apparition tombée du ciel pour l’empêcher de réfléchir. Les dieux essayaient-ils de séparer le père et la fille ? Brod n’y crut pas. Au fond de lui, il voulut croire que, au contraire, Poséidon essayait de lui envoyer un signe, un lapin blanc à suivre jusqu’au pays des merveilles où la belle Alice, sa petite fille chérie, l’attendait en sirotant du thé.

L’étalon s’extirpa du lac et ébroua son gros corps, prêt à suivre la trace de miettes de pain et retrouver son enfant. Néanmoins, les mots de la jeune dame devant lui le retinrent sur place. Les dieux ne s’amuseraient pas à flatter son ego maintenant qu’il venait de perdre sa fille… Tout espoir envolé, Brod pensa tout de même à lever le nez pour exhiber sa pilosité nasale. Voilà bien une chose qu’il ne ratait jamais : sauter sur une bonne occasion pour dire du bien de sa belle moustache.

La plus belle du monde, ma dame, commenta-t-il d’un hochement de tête. Comme vous n’en verrez nulle part ailleurs, alors profitez-en !

Le gros noir s’approcha de la jeune arabe, mais garda tout de même une distance respectueuse entre eux pour plusieurs raisons. Un : c’était une dame, et il savait respecter les jolies dames. Deux : à cette distance, elle risquait peu de lui sauter dessus pour toucher sa moustache à son insu ; si elle essayait, il aurait le temps de réagir et… Qui savait ce qu’il pourrait se passer alors… Il ne valait mieux pas qu’elle essaie. Un instant, Brod zieuta derrière l’inconnue et en oublia une partie de sa politesse légendaire pour s’intéresser à un drame plus immédiat.

Dîtes-moi, milady, vous n’auriez pas vu une sublime pouliche rousse dans le coin ?

HRP:

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

Oh, tell us are you big or small. To try this one or try them all it's such a long, long way to fall. Alice, Alice, oh, Alice. How can you know this way not that you choose the door you choose the path. Perhaps you should be coming back another day, another day. And nothing is quite what is seems you're dreaming are you dreaming, oh, Alice. Danny Elfman

L'étalon noir redressa l'encolure pour me montrer davantage sa moustache. Alors mes yeux s'écarquillèrent brutalement et je penchai la tête sur le côté. Comment un cheval pouvait-il avoir une telle pilosité ? Mais surtout, je me demande : est-ce que cette moustache changerait-elle quelque chose vis-à-vis de ses vibrisses ? Sans aucun doute. On est tout de même né(s), tous sans exception, avec des vibrisses qui font en sorte que l'on ressente les choses que l'on ne voit pas, qu'on touche des objets que l'on ne connait pas. Mais cette moustache se trouve tout de même près des vibrisses, elle les recouvre alors elle gêne sans aucun doute. Bien entendu, c'est assez beau je l'avoue, mais c'est surtout étrange. Finalement, quand il la complimenta, j'eus un petit sourire et secouai la tête. Bien sûr qu'elle est belle, bien sûr qu'elle est impressionnante, mais je n'irai pas la toucher pour autant. Elle ne me répugne pas, certes, mais elle m'intrigue à un tel point que je n'ose m'approcher. Je me demande sincèrement comment l'univers pouvait créer un cheval avec une moustache comme celle-ci. Comment un étalon pouvait-il charmer avec une telle pilosité ? Sincèrement, je ne comprend réellement pas. Je ne savais que penser. Etait-il beau ? Etait-il moche ? Etait-il étrange ? Etais-je un peu trop vieux jeu ? Je dois sans doute être jeune pour réellement bien juger. J'ouvre la bouche et secoue la tête, avec un léger sourire.

" Mais dîtes-moi ... Cette moustache ne vous gêne-t-elle pas lorsque vous ne voyez pas le sol ? Je veux dire, les vibrisses agissent-elles tout de même de la bonne manière ? " dis-je, réellement curieuse.

Je laisse mon regard divaguer sur le corps de l'étalon, en essayant de l'observer mais surtout de cerner les failles qu'il pourrait avoir. Alors dans un premier temps, il était complètement différent de Yavin de par sa taille, mais surtout sa robe et sa corpulence. Il paraissait beaucoup plus petit que le Mammouth du cratère, mais beaucoup plus fort. Cependant, Yavin paraissait gros, que lui le noir semblait surtout musclé. Etrangement, il me faisait penser à un poney de randonnée que Yavin ressemblait plus à un Mammouth tout droit sortit de la préhistoire. Si je devais adresser ma sympathie à l'un des deux sans le connaître ? Je choisirai sans doute le noir. Je ne pourrais dire réellement pourquoi, mais c'est exactement ce que je ressentais. Yavin , je le détestais. Que lui, peut-être l'apprécierai-je ? Qui sait ?

Une question se fit alors entendre et mes oreilles se redressèrent tandis que je tournais légèrement la tête vers l'arrière. Une pouliche rousse ? Pendant mon arrivée dans cette région ? Non. Surtout qu'une pouliche, je l'aurai certainement vu. Encore plus si elle était sa fille, si jamais c'était le cas, et qu'elle lui ressemblait. Mais une pouliche se perdant dans un tel endroit était tellement dangereux. Je parle en connaissance de cause ... Je me souviens parfaitement lorsque je m'étais perdue dans l'Archipel : si Rosie n'avait pas été là, je ne sais sincèrement pas où je serais actuellement. L'Archipel était si grande que j'aurai pu mourir dans cette grotte, sans que personne ne s'en rende compte. Surtout pas mes parents : ma mère s'étant cassée comme une chienne et mon père ayant disparu comme un voleur. Ouais, j'avais aucun soutien. Merci Rosie, quoi. Mes oreilles se couchèrent sans que je ne m'en rende compte ... Cet étalon était-il donc comme mon père ? Ou était-il tout simplement irresponsable ? S'était-il barré sans le dire à la pouliche ? L'avait-il abandonné et s'en voulait-il dorénavant ? Finalement, je secoue la tête, j'ai promit à papa de me calmer, pour adresser un sourire compatissant - ou presque - à l'étalon bicolore.

" Malheureusement, non. C'est votre fille ? "

Brod louchait sans cesse derrière la jument isabelle, puis autour de lui. Il s’attendait à voir débarquer la petite chose rousse à tout moment. Il ne pouvait pas l’avoir oubliée si loin ! Si ? Il n’en avait pas la moindre idée et ce constat l’inquiéta. Comment pouvait-il être si paumé ? Tant à côté de la plaque que sa propre fille risquait des dangers incroyables à cause de lui. Que faire si elle se faisait attaquer par un prédateur ? Le gros cœur de l’Irish s’emporta. Il ne voulait pas y penser. À l’affût d’un petit hennissement tout mignon, il posa à nouveau ses yeux sur l’inconnue.

Elle zieutait d’une drôle de manière sur sa moustache, ce qui ne plut qu’à moitié à l’étalon. Que voulait-elle, celle-la ? Était-elle prête à l’insulter ? À le piétiner, l’écraser, comme d’autres avaient voulu le faire avant elle ? Qu’elle fasse, donc ! Brod resterait hermétique à ses insultes. Maintenant que Crystae remuait à ses côtés, le gros Irish pouvait bénéficier, à loisir, de compliments imaginatifs sur le caractère divin de sa pilosité faciale. Si sa fille aimait sa moustache, alors le monde pouvait bien la détester, il s’en fichait.

Ce qui était à moitié vrai, mais Brod aimait bien s’en persuader. Il planta donc la graine dans son petit cerveau et laissa germer pour prendre un regard très légèrement arrogant. Sa moustache était la plus belle du monde, point. Pas besoin d’argumenter pendant des heures.
Heureusement pour lui et son cœur stressé à l’idée d’avoir perdu sa fille (drame si, en plus, il devait encaisser un rejet dégoûté vis-à-vis de sa belle moustache), la jeune inconnue n’enchérit pas sur la probabilité qu’il existe d’autres pilosités plus surprenantes que la sienne. À la place, elle posa deux drôles de questions. Brod lorgna la jument d’un air inquiet. Lui avait-on frappé trop fort sur la tête ? Il ne voyait pas quelle autre raison pouvait pousser l’inconnue à poser ce genre de questions. Il en fut si choqué qu’il mit un certain temps à répondre, bloqué dans des pensées qu’il n’arrivait pas à organiser.

Que dîtes-vous ? Mes vibrisses ? (Brod leva le nez bien haut et articula un peu plus fort qu’il ne le voulait :) Mais voyons, my dear, ce sont mes vibrisses ! Et vous n’imaginez pas tout ce que l’on peut sentir avec des vibrisses pareilles…

Brod gardait en mémoire les courbes alléchantes d’une belle jument palomino. Commedia avait eu l’air d’apprécier la caresse de sa moustache sur ses flancs, mais l’étalon, lui, avait plus « qu’apprécié » le corps féminin sous ses vibrisses. C’était un délice que les ignorants ne pouvaient pas comprendre. Tous ne voyaient que l’aspect esthétique de la chose et il se gardait bien de dévoiler les avantages d’une telle pilosité ! C’était son petit truc à lui, la seule chose qui faisait de lui un être unique sur l’île. Il ne la partagerait pour rien au monde. Quoi que… sa petite Crycry d’amour serait magnifique avec une belle petite moustache à l’impériale sur le bout du nez.

Misère ! s’exclama-t-il à la négation de l’inconnue. Ma fille, oui. Une petite pouliche rousse qui me suivait il y a moins d’une heure ! Où a-t-elle pu passer ? Je suis fichu ! S’il lui arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai jamais !

Le gros noir était tout à fait perdu, il ne savait plus lui-même ce qu’il dévoilait à la jeune jument isabelle. Pour quoi passerait-il auprès d’elle ? Il ne voulait pas être un père indigne ! Il voulait être un père parfait, le big daddy à sa baby girl. Que faire ? S’il partait au hasard, il risquerait de mettre encore plus de distance entre elle et lui ! Catastrophe ! Peut-être que s’il trouvait un promontoire pour observer la vallée… L’Irish laissa son regard glisser sur l’horizon. Quand il tomba sur l’isabelle, il prit conscience de son impolitesse à l’égard de la dame et se reprit immédiatement.

Toutes mes excuses, milady ! (Il inclina la tête en guise de révérence distinguée.) Mon nom est Brod, à votre service.

C'est hallucinant comme les chevaux sur cette île ont tous des particularités qui m'échappent. Il y a les chevaux pies ... Comment les chevaux peuvent-ils vivre avec deux couleurs ? Ne se sentent-ils pas étrange en portant les deux couleurs de leurs parents ? Dans une autre vie, ne se sentiraient-ils pas malheureux d'être comparés à des vaches ? Les frisons aussi ... Certes, ils ont ce côté superbe et magnifique que leur encolure prodigue. Mais ne se sentent-ils pas lourds avec leur corps de cheval de trait ? Ont-ils le sentiment de faire trembler la terre en galopant ? Mais ceux qui m'intriguent le plus sont sans doute les chevaux crèmes comme Fifa ... Ressentait-elle le Soleil comme nous autre ? Pouvait-elle avoir des coups de soleil beaucoup plus facilement que nous ? Avait-elle autant de poils que nous ? Etait-elle une aberration de la Nature ou est-ce une véritable robe comme nous ? Je ne saurai le dire mais il faudrait que je me renseigne un de ces quatre. Mais je pense qu'au jour d'aujourd'hui, ce qui m'intéresse le plus est cette étrange moustache. Je n'avais encore jamais vu de cheval avec une telle moustache. Etait-il né avec une telle pilosité ? N'avait-il pas essuyé beaucoup de reproches ? Beaucoup de commérages ? Sans aucun doute. Etait-il unique ? J'espère pour lui, car sincèrement je me sentirai triste si je voyais quelqu'un avec une telle moustache. Un jour, faudrait que je me balade et que je vois si d'autres chevaux existaient de la même manière que lui.

Un regard sur l'étalon et je comprend très vite que mes questions l'interloquent. Mais en même temps, faut me comprendre ! Je n'ai jamais vu de telles pilosités, ni même une telle moustache. Sincèrement, comment un poulain pouvait-il naître avec une telle moustache sans même gêner sa mère ? Ou même sans énoncer une quelconque question ? Et puis même faut me comprendre encore plus car je suis tout de même une gamine, une adolescente dans un corps d'adulte. Je ne me considère pas encore comme une adulte, alors oui, tout ce qui m'entoure m'intrigue. Plus le temps passe, plus j'ai l'impression de découvrir le monde comme je ne l'ai jamais vu. Comme si ma vie avait changé au moment même où j'avais passé les quatre ans. Comme si mon âge adulte m'avait rendu encore plus différente que je ne l'avais jamais été. Finalement ses réponses me choquèrent. Alors cette moustache était ses vibrisses ? Mais comment cela était-il possible ? Comment la Nature a-t-elle pu accepté cela ? Je ne comprend rien, vraiment rien. Mes oreilles demeurèrent en avant tandis que je penchai légèrement la tête sur le côté. Ensuite, je hoche brièvement la tête.

" Je vois. Mais comprenez que cela m'intrigue ... Je n'ai encore jamais vu de telles vibrisses. Ont-elles quelque chose de particulier ou sont-elles simplement longues et étranges ? " demandai-je, réellement curieuse.

J'aimais bien ce genre de rencontres. Mais si vous savez, ce style de rencontres où vous avez l'impression de découvrir des choses dont vous ignorez encore l'existence. Bien sûr, ces choses vous les avez déjà vu un jour ou l'autre, mais vous n'y avez jamais réellement fait attention. Des choses que vous avez sans doute croisez une fois dans votre vie, mais quand vous les avez réellement devant vous, vous vous rendez compte que vous ne les connaissez pas ainsi. Et puis finalement, vous vous posez des questions, vous les gardez dans un premier temps pour vous et ensuite, vous osez les poser et on vous répond. Evidemment, les réponses ne vous satisfont pas aussi vite que vous le pensiez car la réponse ne sera jamais assez bonne. Alors oui, cet étalon m'intrigue mais j'aime ça. Pas dans le sens où il m'intéresse physique, mentalement ou autre, je m'en fous de cela. Mais plutôt dans le sens où il sera un sujet d'étude pendant quelques temps. Une étude que j'apprécie réellement faire. Finalement, je secoue la tête et plisse légèrement le regard. Cette moustache est intéressante certes, mais cet étalon l'est encore plus. Tout simplement car son comportement est étrange et que je veux en savoir plus, bien plus, sur lui.

Soudain, en parlant de son comportement, celui-ci changea du tout au tout. De l'étalon presque arrogant, arborant sa moustache à qui va, il était passé à l'étalon complètement paniqué et perdu. Effectivement, elle était sa fille. Effectivement, il avait l'impression de l'avoir perdu. Mes oreilles se baissèrent sans que je ne m'en rende réellement compte dans ma crinière de jais, tandis que je ronflais des naseaux. Il était exactement comme ma mère finalement. Il croyait aimer sa fille et pourtant il l'abandonnait, il la laissait toute seule comme une merde. Il était exactement ce que je détestais chez les parents. Ils se pensent responsables, aimants et adorables, mais ils n'étaient que des monstres finalement. Ils mettent au monde des poulains pour finalement les détester et les laisser comme des pions dans un échiquier qu'ils n'arriveront jamais à résoudre. J'avais envie de le buter, lui arracher la carotide pour la trahison qu'il venait de faire à sa fille. Mais je préférai déglutir et soupirer profondément, essayant de me calmer. Peut-être était-ce une erreur ? Peut-être me trompai-je ? J'espérais sincèrement pour lui. Je mord une fois la langue pour canaliser ma fureur, et tentai de garder la diplomatie que voulait mon père.

" Ca ne sert à rien de paniquer ainsi. Une pouliche est débrouillarde, croyez-moi je parle en connaissance de cause. Ma mère m'a abandonné et mon père s'est cassé comme une couille-moi et voyez ce que je suis devenue. Donc si vous ne l'avez pas abandonné, elle reviendra vite à vous, je pense. " dis-je en tentant de ne pas paraître furieuse.

Peut-être ne jouait-il pas la comédie finalement ? Peut-être avait-il réellement perdu sa fille. Des parents maladroits ou inadéquats à la vie de famille, ça existait n'est-ce pas ? Sans aucun doute. Alors oui, malgré moi je lui laissai le bénéfice du doute. Peut-être qu'en faisant cela, je ne passerai pas pour la peste que tout le monde imaginait. S'ils savaient. J'ai tellement de plans en tête, qui s'exécuteront sans doute, que je n'ose laisser mon coeur et ma tête parler. Une présentation et un sourire moqueur passa mes lèvres.

" Ce n'est rien. Enchantée, moi c'est Hallelujah, fille de Cyrius dominant des Trompeuses. " dis-je très fière. Qu'est-ce que j'aime prononcer mes origines, c'est dingue.

Brod respirait la panique. Elle transpirait de chacun de ses pores, faisait bondir son gros cœur dans son poitrail, rouler ses yeux d’un bout à l’autre de l’horizon et trembler ses grands membres. Il ne voulait pas imaginer l’avenir sans la belle boule rousse à ses côtés. Que faire s’il l’avait perdue à jamais ? Il venait à peine de la trouver ! Le grand mâle ne comprenait pas encore toutes les subtilités de la paternité, connaissait encore moins de choses à la maternité et pratiquement rien sur la façon d’élever un enfant ou même ce qui pouvait bien se passer dans son adorable petite tête. Il était plus paumé que jamais, plus encore que le jour où son frère avait été chassé de sa famille et qu’il n’avait plus su ce que lui-même devait faire. Au fond, Brod restait un petit poulain remué par la marée, qui allait là où on lui disait sans arriver à prendre lui-même les bonnes décisions.

La concentration du gros Irish revint sur la petite arabe. Il la fixa de ses yeux sombres et essaya de comprendre si elle se moquait de lui ou si elle était sincère. Il avait pris l’habitude d’essuyer des critiques, la plupart du temps parfaitement injustifiée, ou des moqueries idiotes. La curiosité n’était qu’un fait rare chez ses interlocuteurs. Face aux critiques, l’arrogance était un bon moyen de défense, mais face à la curiosité, Brod ne savait plus trop quoi faire. Il était flatté, évidemment. Mais il avait peur de dire les mauvais mots et de s’attirer les foudres d’une dame qui, pour le moment, ne pensait pas trop de mal de lui. La question de l’arabe, elle, éradiqua les dernières défenses de l’étalon noir qui plongea tête baissée dans le piège. Il releva haut sa moustache et sourit, très fier de lui.

Quelque chose de particulier ? Certaines demoiselles ont démontré une certaine sensibilité aux chatouilles de ces vibrisses sur leurs beaux ventres… Faire rire une dame ! Quel meilleur super-pouvoir peut-on rêver ?

Brod resta bien campé sur ses sabots, à bonne distance de la belle arabe, mais il se demanda sincèrement si, elle aussi, avait le corps chatouilleux… La belle Commedia, elle, avait laissé échapper un rire tout à fait adorable. La jeune isabelle était d’agréable compagnie et il ne doutait pas qu’elle rit de manière tout aussi mignonne. Néanmoins, Brod était un gentleman. En tant que tel, il ne pouvait pas bondir sur la jument et l’agresser sous prétexte qu’il en avait très envie. Il savait se tenir, tout de même ! Et il ne faisait jamais rien sans l’accord d’une jolie dame. Jamais.

La conversation glissa à nouveau sur la disparition de sa fille et Brod perdit son sourire suffisant pour une moue triste, voire désespérée. Il ne savait absolument pas quoi faire pour retrouver la petite Crystae. Le pardonnerait-elle d’être parti sans se retourner ? Il était persuadé qu’elle le suivait et, trop concentré sur un potentiel danger et la meilleure posture à adopter pour qu’elle soit fière de son big daddy, il n’avait pas fait attention à sa baby girl. S’il gueulait assez fort, la pouliche l’entendrait-elle ? Viendrait-elle le rassurer ? Le gros Irish ne serait pas étonné d’apprendre qu’il était plus paniqué par la situation que sa propre fille.

L’abandonner !! s’insurgea-t-il en carrant les épaules. Plutôt mourir, oui ! C’est ma fille, my baby girl ! Elle reviendra, vous croyez ? (Sa voix se brisa à l’idée du contraire.) Et si elle se perd ? Et si je ne la retrouve pas ? S’il lui arrive malheur ?

Brod sentit ses yeux s’embuer de larmes. Il ne voulait pas imaginer ces possibilités. Il serait prêt à se battre contre un dieu si sa belle Crycry avait des ennuis ! Les prédateurs, les chevaux, les humains, rien ne lui faisait peur ! Pas si la vie de la belle petite chose était en danger. Mais que faire ? Il n’osait toujours pas bouger de peur de partir dans la mauvaise direction…

Oh, princess, très enchanté, souffla Brod en s’inclinant légèrement. Votre joli nom pourrait peut-être me porter chance aujourd’hui. Un miracle ne serait pas de refus pour retrouver ma petite fille avant qu’il n’arrive un drame !

L’Irish était si concentré sur le problème de Crystae qu’il en avait zappé une partie des informations lancées par la belle arabe. Brod redressa le museau en comprenant ce qu’elle venait de lui dire. Cyrius, son père, avait donc abandonné sa fille et sa mère ne sen sortait pas mieux ? Une grimace dégoûtée déchira le visage du noir. Voilà une histoire qu’il connaissait parfaitement et qu’il n’appréciait guère.

Mes parents étaient aussi ingrats que les vôtres. Un père lâche et une mère catastrophique. Je ne souhaite cela à personne. Une princess mérite mieux, tout de même ! Comptez-moi parmi vos alliés, ma Dame, en tant que camarade de parents indignes. Si cette regrettable mésaventure avec ma jolie fille ne vous rebute pas… Ce qui serait légitime. Il faut croire que mes parents ont fait de moi un père aussi indigne qu’eux…

La panique était présente sur chacune des parties vivantes de l'étalon. Il puait la peur. Il puait la tristesse, ainsi que la déception. J'avais oublié ses odeurs et finalement elles apparaissaient : ça puait réellement, c'était atroce. A quoi bon paniquer la peur de l'abandon d'un être quand on le fait volontairement ? Car perdre son enfant de cette manière, ça prouve qu'on est négligeant et qu'on s'en fout réellement, non ? Maman ne s'est pas inquiétée quand elle est partie. Elle s'en est moquée totalement. Papa s'est foutu littéralement de mes actions quand il est parti ... Non, il s'en moquait de la même manière. Pour moi, les parents sont indignes d'être parents. Pour moi, ils ne méritent pas d'avoir des enfants. Les enfants sont une chance pour les parents, ils sont un miracle. C'est sans doute pour cette raison que Maman m'a appelé de cette façon, je suis son véritable miracle. Mais un miracle, on le cultive, on fait en sorte qu'il grandisse en nous de la bonne manière, qu'il se développe réellement bien. Elle, elle n'avait rien fait. Elle, elle m'avait laissé comme une merde. Elle m'avait tué sans le vouloir et elle s'en moquait. Je la déteste réellement, je la hais de tout mon être et je suis si heureuse qu'elle soit partie finalement. Sinon, je l'aurai sans doute tué moi-même.

L'irish m'expliqua que les vibrisses étaient douces, qu'elles faisaient rigoler beaucoup de juments. Comment des juments pouvaient-elles rire lorsque des étalons les draguaient ? Comment des chevaux pouvaient-ils rire durant l'acte ? Je ne comprend pas. Pourtant Papa et Maman m'ont souvent dit que l'amour s'accomplissaient durant l'acte, qu'il devenait encore plus beau après cela. Alors pourquoi les rires sont-ils présents ? Non, vraiment je ne comprend pas. Mon regard se posa brièvement sur ses vibrisses, une dernière fois et je penchai la tête sur le côté. Non vraiment, je ne comprend pas. Je finis par avoir un rire mi-figue, mi-raisin et ouvrit la bouche.

" Mais ne dit-on pas que l'acte et ce qui l'entoure reste quelque chose de pur mais surtout qu'il ne faut pas le gâcher par les choses superflus ? Alors, pourquoi vouloir faire rire les juments quand on s'apprête à faire des bébés ? Je ne comprends pas. Tout ça est mécanique, pour moi ce n'est pas utile d'ajouter des artifices. " dis-je tout simplement.

Je ne comprenais réellement pas les efforts des adultes pour changer leur quotidien, pour changer les choses qui font qu'ils sont adultes. Comment peut-on vouloir tout changer ? Comment peut-on faire en sorte que tout ce qui se passe change ? Chatouiller des juments avant l'acte ? A quoi bon ? C'étaient des jeux de poulains ça, pas des jeux d'adultes. Pour moi, ce n'est pas utile de mélanger les deux mondes. C'était presque écoeurant. Un soupir finit par passer mes lèvres tandis que je reposai mon regard sur l'étalon. Il paniquait encore. Il ne voulait pas l'abandonner et pourtant elle n'était pas avec lui. Il paniquait car elle ne l'avait pas suivi : c'était devenu un abandon par procuration, non ? Je ne voulais pas le juger et pourtant, il faisait à peu près tout pour que je le juge. Finalement, une phrase me fit sourire. Mon nom serait-il un miracle pour lui ? Je n'en suis pas certaine. Je n'ai jamais été réellement un miracle pour quiconque, alors pour lui. Non, je n'y croyais pas vraiment. Je lui adresse ensuite un sourire légèrement teinté d'empathie, ce qui était rare chez moi, et m'avança légèrement vers lui.

" Quand on ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé, il n'est pas utile de paniquer pour rien selon moi. Mais oui, j'accepte d'être votre miracle s'il est nécessaire. Cependant, je ne suis pas certaine d'avoir la patience de faire le tour du monde pour elle. " dis-je avec franchise.

Je voulais être franche avec tout le monde, je me l'étais promis. Ca blesserait des gens, mais je m'en foutais royalement. La franchise était bien mieux que l'hypocrisie, au moins tu vois plus facilement qui était avec vous ou non. Finalement, aux dernières paroles de l'étalon, j'eus un petit sourire enfantin. Un allié ? Pour une fois que j'en ai un sans être obligé de le manipuler. Ca faisait du bien au final. Vraiment.

" Un allié comme vous ? Bien évidemment que j'en veux un. Cependant, comment voulez-vous qu'on devienne allié si on est pas du même territoire ? C'est un soucis, vous ne pensez pas ? "

Brod vit bien que ses mots ne plaisaient pas des masses à la jeune jument. Il se demanda bien qu'est-ce qu'elle allait s'imaginer pour devenir si sérieuse. Il ne parlait que de chatouiller des dames avec sa belle moustache, rien de grave à cela non ? Bien évidemment, il ne le ferait jamais à un mâle ! Mais ce n'était pas pour autant qu'il donnait un caractère sexuel à un jeu banal. Le rire était salutaire, décontractant. Rien à voir avec une envie de faire bébé. Le gros mâle aimait satisfaire les dames, peu importait qu'il ait, ou non, ses chances d'obtenir un moment plus intime avec elles. D'ailleurs, l'arrivée de Crystae dans sa vie remettait peut-être en cause sa propension à se frotter d'un peu trop près aux juments. Ou peut-être pas.

Que vas-tu imaginer ? Je te parle de rire et de chatouilles ! Et toi, tu me parles de faire des bébés ? Quel rapport ? Je vais pas t'en faire un, princess, si c'est ce que tu essaies d'insinuer !

Brod ne cachait pas un certain malaise quant au sujet de la conversation. Il était aussi légèrement blessé dans sa fierté que la petite Hallelujah le range automatiquement dans la case des mâles qui ne pensaient qu'aux chaleurs des dames. Il avait mieux à faire de sa vie, aujourd'hui ! Sa belle Crycry avait besoin de lui à ses côtés, pas à courir les jupons ! Il devait la bichonner et lui apprendre la vie. Même s'il ne savait pas exactement ce que sa baby girl pourrait apprendre de lui.

C'est justement parce que je sais pas ce qui est arrivé, que je panique ! Il peut lui arriver n'importe quoi !! Imagine que... Non ! N'imagine rien ! Ca pourrait lui porter malheur...

Le gros mâle perdait totalement la tête. Ses phrases sortaient de sa bouche les unes après les autres, pratiquement les unes sur les autres. Il s'emmêlait lui-même en essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées. Pourrait-il retrouver sa belle Crystae ? Où était-elle passée ? Quand l'avait-il vue pour la dernière fois ? La question était piège pour le gros Irish qui se renfrogna. Ses souvenirs n'étaient pas une science exacte. Ils se mêlaient les uns aux autres, se divisaient. Il en inventait même parfois, confondait certaines rencontres et se perdait lui-même dans des choix qu'il aurait pu faire. Il ne retrouverait jamais sa jolie fille grâce à ses souvenirs.

De quoi parles-tu ? (La suspicion fit briller son regard.) Jusqu'à preuve du contraire, nos terres sont en paix, je vois pas en quoi ça empêcherait quoi que ce soit. Naëlle est une bonne petite, je la soutiens. Je peux pas la quitter comme ça. Et même si je le pouvais, je le ferais pas !

L’Irish ne comprenait pas tout aux insinuations de l'arabe. Il n'avait pas le cerveau le plus vif de l'île et faisait de son mieux pour suivre les conversations, les jeux de pouvoirs et les relations de chacun. Il abandonnait bien vite les subtilités pour se concentrer sur ceux qui n'avaient pas insulté sa belle moustache. Au final, c'était tout ce qui importait. La seule chose qui ne lui demandait pas de se faire des nœuds au cerveau à longueur de journée.

Si t'as besoin d'aide, je serai là, mais en tant que Secret. A moins d'une faute grave de l'un des miens, je pourrai rien pour toi, princess. Mais si tu passes sur les Secrètes, viens faire un coucou, je te montrerai ma baby girl adorée ! En voyant une tête comme la sienne, même toi tu pourrais changer d'avis sur les chatouilles et les bébés. HAHA !

En réalité, j'avais encore du mal à concevoir qu'un mâle pouvait seulement chatouiller les juments sans sous-entendus. Les mâles ne sont-ils pas nés pour simplement accompagner les juments jusqu'à la mise bas et surtout leur permettre d'avoir un poulain ? Ne sont-ils pas nés pour être simplement des géniteurs et non des pères ? Maman me l'a toujours dit, elle me l'a même apprit. En même temps, quand je peux voir ce qu'elle est devenue, ce qu'elle a réalisé avec les mâles qu'elle a pu rencontrer, je me rend compte qu'elle a sans doute raison. Elle ne m'a jamais parlé de son passé, mais les actes qu'elle a pu réalisé parlent d'eux-mêmes. Un viol avec Gavroche ? Ou tout du moins c'est ce que j'ai pu entendre. Je n'y croirai jamais. N'a-t-elle pas aguiché les autres étalons ? Ne les a-t-elle pas cherché ? Alors pourquoi cette fois-ci ce serait réellement un viol ? Je n'y croirai pas, tout simplement. Je ne croirai plus du tout ce que j'ai pu entendre. Bien sûr, je ne croirai qu'une chose : son amour pour Papa. Elle l'aimait réellement mais elle avait eu peur. Peur du bonheur tout simplement.

Et peut-être est-ce sans doute cette raison qui me mène à penser que les étalons ne sont uniquement des géniteurs. Le bonheur n'existe que si on le décide. Il ne nous appartient que si on le laisse entrer dans ma vie. Et pour moi, le bonheur ne se fait pas du tout avec les étalons. Finalement, à son discours, j'eus un petit rire. Il pensait réellement que j'allais y croire ? Alors, je lui ferai croire qu'effectivement j'en suis convaincue. Il n'a pas l'air bien méchant, un peu bêta, mais pas méchant alors je ne lui ferai pas plus de mal qu'il ne le mérite. Ca ne sert absolument à rien, puisque de toute façon je le voulais de mon côté.

" C'est vrai que le rapport ne se fait pas aussi facilement que je le désire. Mais les mâles ne sont-ils pas dotés d'atouts faisant en sorte de faire des bébés ? Après, évidemment, la moustache peut seulement être un jeu. Mais vu ce que ma mère a fait toute sa vie, permet moi d'en douter. " prononçai-je. Je ne devrais pas parler d'elle, mais c'était sorti seul.

Une tension venait de naître délicatement entre nous. Comme si j'avais mit un certain froid. Alors sans doute me trompai-je ... Peut-être n'était-il réellement pas comme je le croyais. Peut-être faisait-il parler de ces étalons qui ne se préoccupent pas des juments, ils étaient rares mais ils existaient. La preuve avec Blake, je pouvais parler avec lui tranquillement. Je ne sentais aucune sexualité entre nous. Un véritable ami sans malentendu. Et ça faisait du bien. Peut-être que cet étalon faisait-il parti de ces étalons et si c'était le cas, je lui laisserai alors le bénéfice du doute. De toute façon, sincèrement, il en faudra du courage pour me monter sur le dos gratuitement, ou une sacré paire entre les cuisses. Ou alors, je le choisirai. Ouais, la dernière option était sans doute la meilleure. Je le choisirai, tout simplement. Amour ou non, je le ferai moi-même. Ne dit-on pas qu'on est jamais mieux servi que par soi-même ? Je le savais depuis mon enfance.

Brusquement, il changea complètement de comportement et je secouai la tête. Il paniquait carrément et pour rien. Sa fille n'avait pas disparu ainsi, c'était impossible. Aucun cheval, ou poulain, ne disparaissait de cette manière sur une telle île. Maman avait disparu, mais je l'ai vu venir et partir. Papa avait disparu mais il était revenu. Alors, non, c'était tout bonnement impossible. Brusquement, je tape ma tête subtilement sur son poitrail. Il fallait qu'il se calme, réellement. A trop paniquer, on finit par devenir fou et je n'ai pas besoin d'un fou en tant qu'allié. Alors, je me recule calmement et lui adresse un sourire compatissant.

" Ca ne sert à rien de paniquer ainsi. Peut-être que pour vous oui, mais à paniquer ainsi, on ne se souvient de rien et on s'embrouille rapidement. Je l'ai vécu un jour et j'ai cru mourir tant les ronces se sont enfoncées en moi. " dis-je en fermant les yeux à ce souvenir.

Je me rappelais parfaitement de ce moment et je pense qu'en plus d'être le plus humiliant de ma vie, ce fut aussi le plus douloureux. Je me souviens partir des jambes de maman, galoper comme une folle dans le tas de ronces et brusquement tomber. Soudain, ces dernières m'enlacèrent comme un démon et me clouèrent au sol. Je voulus bouger, m'échapper, mais plus je le faisais, plus je me sentais sombrer dans le sol. Le sang commençait à perler sur ma robe tandis que je pleurais comme une enfant prise en faute. Puis Papa fut apparu. Comme un ange tombant du ciel, il me libéra avec rapidité tout en souriant avec moquerie. Et c'est ce jour-là que je décidai que je serai plus forte que ces ronces, que je les anéantirai tous. Il était hors de question que je sois autant humiliée une seconde fois dans ma vie. Cette fois-ci je les soutiendrai du regard et les humilierai moi-même.

Finalement, aux autres questions de l'étalon, je fermai mon visage. Je sentais parfaitement son regard suspicieux mais il était hors de question qu'il se doute de quelque chose. Alors il fallait que je sois subtile, beaucoup plus que d'habitude. Je sais parfaitement que les terres sont en paix, qu'aucune guerre n'est présente mais ça, c'est parce que personne ne connait mes plans. Mon sourire réapparut à cette pensée. Mes plans, quand ils se réaliseront feront trembler cette île si paisible. Ils ne me connaissent pas, encore moins Papa, et ne savent absolument pas de quoi je suis capable. Alors, sans hésiter une seule question, j'hoche la tête.

" Alors dont, je suis tombée sur un bon et loyal soldat. Intéressant. Je rêverai d'avoir de tels soldats dans mes futurs rangs. Sache que Naëlle, je la respecte et la considère réellement comme une très bonne dominante. Mais je serai meilleure. " Mon vrai visage se montrait, mais je l'assumais parfaitement.

Il semblait perdu en pensant à sa fille, il semblait manipulable mais je ne le ferai pas : ça paraîtrait tellement suspect. Et puis ne venais-je pas de citer les qualités de la dominante ? Ce serait tellement bête de le faire actuellement. Il se doutait de quelque chose, mais il ne se doutait que du moindre. Je ne cessais de garder mon sourire, une lueur étrange naissant dans mon regard. Je semblais me perdre dans ma folie, mais il était hors de question qu'elle sorte de moi. Elle est en moi et le restera. La loyauté transparaissait dans ses paroles et je le laissais parler. S'il savait. Finalement, je rentre encore plus dans l'eau, la laissant caresser ma robe et adoucir mes moeurs.

" Je vois que vous êtes réellement loyal. J'envie vraiment Naëlle. Mais sachez que si je passe sur les terres Secrètes, votre dominante sera l'unique personne à le savoir. Il est hors de question que quiconque le sache. Mais je serai tout de même heureuse de venir vous voir, car ça fait plaisir de rencontrer un étalon gentil sans arrière pensée. " Ma franchise se mélangeait gratuitement avec mon ambition.

Spoiler:

Brod s'inquiétait tant pour sa fille qu'il en oublia une partie de la conversation et laissa plutôt son regard glisser sur l'horizon. Il ne comprenait, de toute façon, pas grand-chose à ce que lui racontait la petite isabelle et il préférait éviter son regard, de peur que la complexité de ses phrases ne le contamine. Il se demanda si la belle princesse n'avait pas été poussé trop près d'un arbre, une fois qu'elle était pouliche. Cela pouvait arriver à tout le monde. Les conséquences, néanmoins, semblaient trop importantes pour que le crime reste impuni. Mais qui était coupable ? Les deux parents, selon ses dires, ne s'étaient pas tant occupés que cela de la pouliche.

La sienne restait disparue. Il n'en vit pas l'ombre à l'horizon et commença à se faire à l'idée de l'avoir perdue pour toujours. Le vide que cela creusa en lui le priva d'air. Il suffoqua un instant, goûta à la panique de la mort volontaire et recracha le tout dans un soupir las. Il retrouverait la jolie Crystae. Il ne voyait pas comment cela pouvait être autrement. Après tout, il ne devait pas l'avoir abandonnée bien loin. Puis les Grands Lacs n'étaient pas frontaliers de territoires dangereux. Aucun prédateur ne traînait dans le coin. Non ? Si ? Il ne savait plus et préféra ne pas s'attarder sur la question. Il était facile, pour un esprit simpliste, de se convaincre tout seul qu'il avait raison et qu'aucun danger ne menaçait la chair de sa chair.

La discussion le ramena à son allégeance à Naëlle qui prenait racine dans l'enfance de la jolie pie et semblait trop solide pour être mise à mal si facilement. Le gros Irish zieuta Hallelujah et se demanda bien ce qu'elle croyait pouvoir offrir pour qu'il abandonne la visqueuse. Cette journée d'Halloween, dans le château hanté, avait fermement lié Brod à la pie noire. Qu'elle le veuille ou non. Il n'avait pas passé tout son temps à sauver la pouliche - une pouliche, lui-même avait du mal à s'en remettre - pour cesser maintenant. Il serait là pour elle. Il lui suffisait d'appeler et le gros mâle rappliquerait comme un chien. Oui, un chien. Mais un gros chien de guerre prêt à défoncer des crânes.

Tiens donc, meilleure ? Et que crois-tu avoir de meilleur qu'elle ? Naëlle semble plutôt bien partie pour gérer la dominance des Terres Secrètes. (En vrai, il n'en savait rien et s'en fichait royalement.) Je ne suis pas un soldat, princess. Considère-moi plutôt comme un preux chevalier prêt à tout pour sauver son roi. Et mon roi, c'est Naëlle. Un point c'est tout.

Brod n'aimait pas beaucoup cette conversation. Il ne voulait pas croire qu'il laissait, à Hallelujah, l'impression qu'elle pouvait le manipuler, le faire changer d'avis et faire de lui ce qu'elle voulait. Il n'était pas comme cela ! Il était loyal à Naëlle, fidèle, fervent protecteur de sa dominante. Il ne pouvait pas échouer dans ce rôle-là. Il était déjà un piètre père, l'on ne pouvait pas lui retirer celui de chevalier ! Ce n'était pas grand-chose, tout de même, de le laisser croire qu'il pouvait aider la belle Naëlle, tout aussi musclée qu'elle fut. Il n'avait, d'ailleurs, pas la prétention de dire qu'elle ne pouvait pas se salir les mains elle-même. La jument pie semblait prête à se défendre sans avoir besoin d'aide. Néanmoins, elle restait dominante et en sa qualité de membre fidèle, Brod était prêt à tout pour qu'elle n'ait pas la moindre égratignure. Un troupeau sûr passait par un dominant en bonne santé.

Je comprends pas, dit-il avec la plus pure franchise. Qu'est-ce qui pourrait bien t'empêcher de venir sur les Secrètes et de le dire à tout le monde ? Y'a pas de guerre, pas d'animosité non plus entre nos troupeaux. Tu peux bien voir qui tu veux, non ? Mais soit, va voir Naëlle si tu veux. Tant que tu lui fais pas de mal, j'imagine qu'on se reverra pas sur les Secrètes alors.

Le gros mâle ne voulait pas menacer la jolie Hallelujah, mais il prenait soudain conscience que ses mots pouvaient être pris ainsi. Tant pis ! Son esprit était trop simple et ses mots trop francs pour qu'il saisisse tout à fait les subtilités du langage. Il agissait plus qu'il ne parlait. Il était un bourrin, pas un intellectuel. Et, au fond, il savait qu'il avait raison. Si l'isabelle s'en prenait à sa dominante, peu importait le mot allié qu'il venait de lui promettre, il foncerait sur l'arabe sans la moindre hésitation.

La suite, néanmoins, le gêna un peu plus et il cacha son malaise en faisant quelques pas dans l'eau. Il but aussi une grande gorgée pour calmer le feu dans sa gorge. Évidemment qu'il avait des arrières-pensées ! Pas tous les jours, pas avec tout le monde, mais il était bourré d'arrières-pensées. Il se demandait souvent la douceur d'une robe, les formes précises d'un corps, le son d'un rire. Il se posait trop de questions et ne freinait sa curiosité qu'avec beaucoup de mal. Heureusement, l'arabe refrénait ses pulsions avec ses phrases compliquées. Il devait tant se concentrer sur les mots qu'il en oubliait de s'intéresser au corps derrière.

Quelles arrières-pensées, grommela-t-il dans sa moustache. T'es à peine sortie de l'enfance ! Et j'ai une gamine, moi. Je peux pas passer mon temps à m'amuser partout, à courir après les dames la moustache en l'air ! J'ai des responsabilités, maintenant.

Il hocha la tête gravement, comme si le sujet était hyper sérieux. Il oubliait tout de même de préciser qu'il avait perdu sa fille... que ce n'était pas la première fois... et que ce ne serait sûrement pas la dernière... Il était un très mauvais père.

La plus belle fille du monde, je t'assure. Un jour, tu la verras. Et tu comprendras !

Spoiler:

" Je serai meilleure, tout simplement. Ne cherchez pas à comprendre, ce serait trop difficile pour vous. Surtout en ne connaissant pas mes plans. " dis-je avec un petit sourire. " Un preux chevalier, tu dis ? Je suis heureuse de l'entendre. Mais j'ai souvent entendu dire que les chevaliers changeaient de camp dés qu'ils sentaient la difficulté arriver. Alors qu'arrivera-t-il lorsqu'elle aura des soucis et que les Terres deviendront moins accueillantes ? "

J'aimais savoir ce que les autres pouvaient penser, ce qu'ils pouvaient vivre mais surtout ressentir. Non pas que j'étais compatissante, ce n'était sans doute pas le cas, mais seulement car j'étais stratégique. En connaissant tout cela, j'étais parfaitement capable de juger mes compères, mais surtout de deviner ce que l'avenir me réserverait. Si je manipulais les autres ? Sans doute. Bien sûr, certaines personnes pourraient avoir du mal à l'encaisser, d'autres pourraient le prendre mal et surtout vouloir m'en mettre une. Mais ils n'y arriveraient pas. Tout simplement, car malgré que je les écoute, que je pose des questions, je fais aussi en sorte de les observer et les écouter. Leurs actes font en sorte que je sache à qui j'ai à faire. Les paroles sont de la même manière. Ne dit-on pas que les actes font ce que nous sommes et que les paroles permettent de voir à qui nous avons à faire ? Alors, croyez-moi que j'aime réellement observer les autres pour deviner qui ils sont. Puis pour soit les mettre de mon côté, soit pour les enfoncer dans leur trou qu'ils ont déjà construit.

Peu de chevaux restent dans mon esprit, ils n'arrivent à y faire leur place. Mais certains sont bien différents et je me souviens parfaitement d'eux. Si je ressens des choses pour eux ? Je ne saurai le dire : tout ce que je sais, c'est qu'ils apparaissent souvent dans mon esprit comme des dessins transcrits. Deux sont exceptionnels et restent dans mon esprit car ils m'ont permis de devenir qui je suis : Blake et Rosie. Blake, car il m'a permit de voir qui j'étais, mais surtout la Reine que je pourrais devenir. Bien sûr, il ne me soutient pas tant que cela, mais rien que le fait de garder un Diadème pour moi est la preuve de son soutient inconscient. Rosie ? Ce serait tellement difficile de parler d'elle en très peu de mots. Amie ou connaissance ? Je ne saurai le dire. Elle appartient seulement aux juments dont j'apprécie réellement la présence, mais surtout la parole. Elle est tellement intelligente qu'à chaque mot qu'elle prononce, j'ai l'impression de voyager. Il faudrait que je lui dise un jour, je suis certaine que ça lui fera plaisir. Ou pas. En fait, j'arrive pas réellement à la cerner.

" Ca ne sert à rien de me menacer. Je ne ferai pas de mal à Naelle s'il n'y a pas de raison. J'ai beau être impulsive, je ne ferai pas de mal gratuitement, je te l'assure. " Mes oreilles s'étaient baissées instinctivement. " Je considère que je n'ai aucune raison de venir sur les Secrètes sans avoir un véritable but. Nous nous connaissons pas assez pour que je veuille franchir les frontières de ma région pour vous, simplement pour une visite. "

Me menacer ? Comment osait-il me menacer aussi subtilement qu'il venait de le faire ? Je ne pense qu'il ne se rend réellement pas compte à qui il avait à faire. Certes, je n'avais pas la même corpulence que lui, certes je n'avais pas les mêmes relations que mon père mais j'étais intelligente, j'en étais certaine. J'avais des plans en tête, des stratégies, alors me menacer était complètement inutile. Qu'il soit musclé, qu'il soit énormément fort, qu'il soit cruel, je m'en fous royalement. Je peux le tuer facilement, beaucoup trop sans doute. Mais ça, personne ne le saura. C'est dommage, je l'aimais bien, il était intéressant. Mais il venait de tout détruire en une seule phrase. Mes oreilles étaient plaquées dans ma crinière, mes naseaux étaient pincés et ma haine commençait doucement à naître en moi. Il fallait que je me calme, que je calme ma colère et mes hardeurs. Je m'étais promis d'être plus intelligente que mes émotions, alors je me mordis l'intérieur de la joue. Quand ceci fut fait, je secoue la tête en fermant les yeux et poussant un profond soupir. Il était temps que je redevienne celle qu'il voyait face à lui depuis des minutes.

Une phrase, puis deux, et j'eus un sourire étrange. Alors sa fille comptait bien plus que les relations avec les juments ? J'aurai tellement aimé que Maman soit pareille que lui. Qu'elle pense plus à moi que ses relations avec les mâles. Qu'elle vienne me consoler lorsque les larmes roulaient sur mes joues plutôt que faire des galipettes sans soucis. Qu'elle vienne me border lorsque j'avais froid ou peur plutôt que disparaître sans aucune raison. En fait, j'aurai tellement voulu qu'elle soit là, tout simplement, pour moi quand je grandissais. J'avais eu besoin d'elle et je m'en rend compte dorénavant. J'avais toujours eu besoin d'elle, comme j'avais eu besoin de Papa. Ils m'ont abandonné, sans doute inconsciemment, mais je les déteste pour cela. Oh bien sûr, j'ai toujours une pointe d'amour pour papa, mais ma rancoeur sera toujours plus grande que l'amour. Finalement, à sa dernière phrase, mes yeux s'embuèrent. Il semblait tellement fier de sa fille ... Contrairement à Papa. Il venait d'atteindre mon coeur sans même s'en rendre compte. Brusquement, je secoue la tête, sors de l'eau et lui tourne le dos.

" Excusez-moi ... Je. Je crois qu'il faut que j'y aille. Mais sachez que si je croise votre fille, écoutez bien la nature et mon hennissement viendra à vous. " dis-je en refrénant mes larmes.

Brod ne répondit rien à la ferveur de l'arabe, qui croyait dur comme fer pouvoir être meilleure que la belle Naëlle. Il n'irait pas la contredire. Non pas qu'il doutait que Naëlle fut une bonne dominante, ni qu'Hallelujah puisse un jour la surpasser. En vérité, il s'en contrefichait royalement. Les jeux de pouvoirs l'ennuyaient. Il n'avait pas la patience, ni l'intelligence, de s'intéresser aux guéguerres politiques. Il suivait les ordres comme un petit soldat et ne tapait du pied que si celui-ci le dérangeait vraiment. Pour le reste, il laissait les gens intelligents se battre la meilleure place. Celle qu'il avait lui, lui convenait amplement.

La menace se planta dans le cœur de la jolie jument et Brod soupira. Il n'avait pas voulu dire cela comme elle le prenait, mais il saisissait un peu le problème. Ses mots allaient parfois trop au but, sans détour, et se paraient alors d'une cape autre que le sens premier qu'il leur avait donné. L'Irish voulait juste confirmer ce qu'elle avait elle-même dit : elle n'irait pas le voir si elle passait sur les Secrètes. Bien, si elle ne voulait pas, il n'irait pas la chercher. Tant pis pour la menace ! Cela éviterait peut-être à Hallelujah d'essayer de tenter le diable. Ou pas. Brod ne savait pas trop ce qui pouvait bien tenter la petite jument et préféra ne pas s'attarder sur la question.

C'est pas en restant dans ton coin qu'on va se connaître, pourtant. C'est bien dommage, commenta-t-il du bout des lèvres, sachant très bien que ça ne persuaderait pas Hallelujah.

Brod n'aimait pas trop entendre la jument le suspecter d'être trop bête pour saisir ses intentions. Néanmoins, cela se rapprochait trop de la vérité pour qu'il réagisse. Il préféra donc repartir sur le sujet de sa fille, sujet qu'il connaissait pratiquement sur le bout des doigts et qui avait le mérite de le mettre dans tout ses états. Le gros noir se gonfla de fierté, prit sa plus belle voix et imagina la petite bouille de la chose rousse pour donner plus de poids à ses paroles. Il devait la retrouver au plus vite, sinon il finirait par faire une crise cardiaque. Chaque image de la pouliche plantait dans son cœur un nouveau pieu. Abandonnée, criait-elle, tu m'as abandonnée ! Mais l'avait-elle vraiment crié ? Il se perdait lui-même dans ses souvenirs.

La petite arabe devint soudain plus calme, elle perdit de cette virulence qui l'avait presque poussée à sauter à la gorge de Brod pour une menace ridicule. Il voyait les choses ainsi, en tout cas, parce qu'il n'aimait pas voir les jolies dames s'énerver à cause de lui, même un tout petit peu.
Le gros se demanda ce qu'il pouvait bien lui arriver. Ses yeux humides le dérangèrent. Une poussière dans l’œil ? Une goutte d'eau qui avait giclé jusque sous la paupière ? Brod fit un nouveau pas dans le lac et se demanda si ce n'était pas lui, qui l'avait agressée avec un peu d'eau, contre son gré. Il en était tout à fait capable et ce constat l'attrista. Le gros mastodonte avait frappé, maladroit comme jamais.

C'est à cause de la culpabilité - il croyait vraiment être responsable - que l'Irish décida de ne pas la retenir tandis que l'arabe le fuyait. Elle serait bien plus en sécurité loin de lui, il en était persuadé. Après tout, il pouvait, à tout moment, glisser au fond du lac et heurter Hallelujah par mégarde. Avec sa stature de cheval de trait et la sienne de danseuse de ballet... elle ne ferait pas long feu, la princesse. Il se força donc à une immobilité totale et roula ses yeux noirs sur l'arabe qui déguerpissait.

Prêtez l'oreille aussi ! Si je la retrouve... Non ! QUAND je l'aurai retrouvée, croyez-moi, tout le monde le saura !!

Il sourit à pleines dents, essayant déjà d'imaginer la scène incroyable que cela risquait de donner. Comme aucune image ne vint à lui, Brod décida de sortir du lac et d'agir. C'était fini, le temps des pleurnicheries ! Il leva la tête bien haut pour voir son chemin et prit une direction au pif. Avec un peu de chance, sa fille serait de ce côté-là. Sinon...

» Pantaloon ft. Hallelujah
» When nothing really mattered - ft. Hallelujah