Suspicion

Camporeal marche silencieusement entre les arbres du royaume des singes. Il n'a pas le souvenir d'être déjà venu par ici lorsqu'il était plus petit. Une odeur âcre le prend aux naseaux, il les plisse et expire bruyamment, gêné.

Plus l'entier avance, plus il aperçoit d'étranges bruits. Il voit finalement un étalon crème devant un bien étrange appareil. Les oreilles du pie se pointent vers l'arrière tandis qu'il s'immobilise, faisant craquer des branches d'arbres cassées sous ses sabots.

Méfiant, il reprend sa marche pour s'approcher de l'appareil et en renifler l'extérieur. Il éternue et sursaute légèrement avant de se tourner vers l'inconnu.

- Qu'est-ce que c'est ? lui demanda-t-il, curieux. Il n'avait jamais vu une telle chose. Tu as déjà vu ça ?

Camporeal et la politesse, ça faisait bien mille.

Camporeal s'attarde à peine sur la blessure de l'adulte face à lui. Il n'en a rien à faire, chacun est comme il est, chacun est ce qu'il est. Si il se mettait à juger les autres, il n'avait pas fini, surtout qu'il était le premier que l'on pouvait juger : fils illégitime né d'un viol, ce n'était pas rien. Son regard reste porté sur l'étrange construction qu'il a face à lui. Il demande d'ailleurs ce que c'est à l'inconnu. Sa réponse l'étonne, il n'a jamais entendu parlé de construction humaine, il ne sait pas ce que c'est. Est-ce que c'est gentil ? Méchant ? Ça se mange ?

- Un oiseau de métal ? lui demanda-t-il, perplexe. Qu'est-ce qu'une construction humaine ? Qu'est-ce qu'un humaine ? ajouta-t-il, répétant les mots que l'étalon avait utilisé un peu plus tôt.

Le regard sombre de l'entier se rive enfin sur le crème et il le suit du regard, les naseaux légèrement dilatés, assez pour savoir que cet individu vient lui aussi des Terres Trompeuses. Le jeune hausse un sourcil et plis légèrement les yeux, désormais intrigué. Lorsqu'il était encore sur l'île, il n'avait pas vu ce cheval, il devait donc être arrivé après lui. Lorsqu'il lui posa la question la plus légitime qui soit, le pie soupira.

Il ne savait jamais vraiment quoi répondre à ce genre de questions. Devait-il garder une part de mystère ? Devait-il tout sortir d'un coup, même le fait qu'il était né d'un viol ? Il n'en avait aucune idée, et il avait croisé si peu d'équidés dans sa courte vie qu'il ne savait pas comment faire des présentations digne de ce nom.

- Je m'appelle Camporeal, finit-il par dire, après une hésitation notable. Je suis le fils de Nazz'ariah & de Gavroche. Le plus jeune marqua une pause avant de reprendre. Je suis né du viol de mon fou de père sur ma lâche et traîtresse de mère.

Si il y avait bien un mot qu'il avait retenu lorsqu'il était enfant, c'est que Nazz'ariah était associée au mot traîtresse. Et si avant il ne savait pas ce que ça signifiait, maintenant, il le savait parfaitement. Lui n'avait aucun avis, il ne connaissait même pas ses parents, alors il ne pouvait pas se permettre de les juger.

- Et toi ? Qui es-tu ? s'enquit-il à son tour, curieux.

Lorsque l'adulte lui explique ce qu'est un humaine, qui se dit en fait humain, Campo fronce les naseaux. Il réfléchit pendant de longues secondes, il ne sait même pas ce qu'est un singe, ni un bipède. Il ne sait rien, c'est encore un enfant ignorant qui a grandit seul, sans repères.

- Alors on dit un humain ? Et pas un humaine ? commenta le jeune, pensif, les yeux perdus dans le vague.

Il finit par secouer la tête pour se reprendre et il observe le crème qui rit et sourit. Il ne comprends pas trop pourquoi, alors il décide de faire comme si de rien n'était, silencieux. Lorsqu'il parle de sa mère, le pie bai comprend que l'inconnu la connaissait. Subitement, ses oreilles se pointent vers lui et il s'approche d'un pas, l’œil vif et brillant d'un espoir nouveau.

- Tu la connaissais ? Tu l'as déjà vu ? lui demanda-t-il précipitamment, frémissant. Je ne l'ai jamais vraiment connu, elle m'a abandonné après ma naissance, souffla-t-il finalement en baissant les yeux, mal à l'aise.

Camporeal le regarde s'éloigner vers la queue de l'étrange oiseau de fer et il le suit tranquillement, observant avec attention et curiosité ce qui semble attirer l'étalon. Lorsqu'un craquement retentit, le jeune sursaute et recule d'un pas, les oreilles pointées en arrière. Il l'écoute se présenter et penche légèrement la tête sur le côté, un sourcil haussé. C'est étrange ce nom, un simple numéro. Et ce personne ? Qui est-ce ? La curiosité démange le bai mais il ne veut pas paraître plus impoli qu'il ne l'est déjà. Alors il abandonne ses questions dans un soupire et observe le crème qui observe autour d'eux.

Le jeune ne fait pas attention aux alentours, mais lorsque les paroles de No. Thirteen résonnent dans l'air, il se met à regarder à son tour autour d'eux avec une méfiance non dissimulée. Il se tourne lentement alors que ses oreilles s'enfouissent dans sa crinière bicolore. Un étrange animal l'observe. Il marche sur ses deux pattes arrières et tient un bout du même matériau que l'oiseau de fer dans ses pattes avant. Campo ronfle des naseaux, peu rassuré, avant de s'avancer vers la bête qui montre les dents. Est-ce gentil ces drôles de choses ?

- Sont-ils mauvais ? Agressifs ? Dangereux ? lui demande-t-il finalement, sans pour autant lâcher ce qui est un singe du regard.

Camporeal se doute qu'il est en train de l'énerver puisque l'adulte soupire et se referme peu à peu face à ses questions. Ses oreilles s'agitent légèrement, signe de son malaise, tout en écoutant la réponse de son interlocuteur.

- Je vois, merci, lui souffla-t-il lorsqu'il lui expliqua ce qu'était un humain.

Le jeune pie recule d'un pas, légèrement intimidé par le crème, et soupire légèrement. Il lève violemment la tête et pointe ses oreilles en arrière, un peu nerveux face aux commentaires de l'étalon sur sa mère. Il s'attendait à tout, sauf à ça. Il ne dit absolument rien et hausse un sourcil, acceptant la critique qu'il vient de faire sur sa génitrice.

L'entier se détourne finalement de No. Thirteen pour s'intéresser au singe qui se trouvait derrière lui. Une nouvelle fois, il lui repose des questions, méfiant vis à vis de l'étrange animal. Il commence à être vexé par les paroles du crème. Ce n'est tout de même pas de sa faute si il ne sait pas grand chose ! A moins que ?

- D'accord, souffla-t-il en haussant les épaules avec nonchalance.

Il finit par s'approcher de l'étrange animal et l'inspecte. Il hausse un sourcil et plisse les yeux avant de faire un écart lorsque le singe l'approche, dents à découverts. Le jeune inspecte ensuite les environs et recule à nouveau, inquiet.

- Et lorsqu'ils sont autant, il vaut mieux fuir ? lui demanda-t-il, paniqué.

Le sourire qu'arborait No. Thirteen ne rassura pas du tout Campo. C'était un sourire carnassier, féroce, un sourire de prédateur qui le fit frissonner. Peut-être n'était-il pas aussi gentil que ce que l'entier pouvait penser. Il le regarda s'éloigner, les oreilles pointées vers lui, et se mit à réfléchir rapidement tout en observant le dit singe. Si il y avait un homme, peut-être qu'il y en aurait d'autres. Et si il y en avait plusieurs, ça pourrait être une très mauvaise nouvelle, il l'avait parfaitement compris. Et il avait également compris que si il y avait plusieurs singes, c'était une autre mauvaise nouvelle. Ainsi, il assimila très vite qu'il était vraiment dans de beaux draps.

L'autre s'éloignait déjà après avoir confirmé ses propos. Camporeal poussa un soupir excédé avant de reculer lentement, mieux valait-il pour lui de partir d'ici avant d'être complètement entouré de ces étranges animaux qui grognaient comme des sauvages. Il jeta un dernier coup d’œil à l'oiseau de métal : il reviendrait ici, il se devait d'enquêter, autant pour apprendre que pour se rassurer sur le devenir de l'île.

Un singe s'approcha, mais plus vif que lui, l'entier se retourna et partit au galop, les oreilles pointées en arrière. Il avait encore beaucoup appris aujourd'hui, grâce à No. Thirteen, alors même s'il l'intimidait, il espérait pouvoir le revoir pour apprendre davantage.

Out.