Danger [Libre]

Danger

Une drôle d’odeur traîne sur les Terres Trompeuses. Un parfum de conspiration. La discorde s’installe sur les territoires de Cyrius. Comme une rumeur qui court l’île, s’étend à toutes les autres terres. Rekkles veut faire tomber l’arabe de son trône. Fantôme cache des ambitions qui ressemblent à celle-ci, mais sur quel territoire jettera-t-il son dévolu ? Cette information a-t-elle la moindre importance ?

Mes yeux bleus glissent sur le paysage. Drôle de paysage. Les ronces s’élèvent vers le ciel, retombent, lourdes d’épines, et s’entremêlent les unes aux autres pour former un rempart infranchissable. La terre n’est plus que devinée sous toutes ces branches. C’est à peine si l’on sait où l’on marche. À quel moment les ronces dissimulent-elles le vide, avides de chute, de sang et de cris ? L’idée m’arrache un sourire amusé. L’endroit parfait pour les Trompeurs.

Les ronces s’accrochent à mes jambes, essaient de me garder à l’entrée de leur sanctuaire. Cachent-elles autre chose que la mort ? Est-ce un piège ingénieux ? Une fausse promesse de trésor là où il n’y a que le mal, la douleur, la désolation. Une douleur qui rappelle aux idiots qu’ils sont encore vivants. Mais pour combien de temps ? Les rumeurs vont vite sur l’île et, déjà, l’on murmure que les chevaux doivent partager l’île. La partager avec qui ?

Une épine griffe un boulet, gratte un sabot. Je m’arrête dans cette marche hasardeuse, laborieuse, pour regarder les perles de sang qui gouttent sur mon postérieur. Y a-t-il pire, derrière l’anarchie des ronces, que la menace fébrile de leurs griffes acérées ? Peut-être est-ce cela qu’elles cachent… un monstre assoiffé de sang et de chair fraîche.

Un bruit retentit derrière moi. Un sourire amusé s’étire sur mes lèvres. J’imagine la bête déchaînée, attirée par le liquide vital, prête à bondir sur la croupe offerte à sa vue. Qu’elle essaie…

Fifa quitta les Terres Orphelines sans un regard en arrière. Ce n’était pas là qu’elle trouverait Hélium et cette fois, elle n’attendrait pas sagement sans rien faire. Kokoï lui avait raconté sa rencontre crépusculaire avec le poney et la dominante avait décidé de s’inquiéter tout de suite, quitte à trop en faire pour rien.

Elle décida de passer par les Terres Trompeuses en repensant à la relation entre Hélium et Cyrius. Peut-être s’était-il seulement arrêté chez leurs voisins… Mais elle en doutait. La crème ne parvenait pas à trouver la trace de son ami et avait dévié dans la Vallée de Ronces en réalisant que les Gorges de Galamus avaient bien changé.

Quelque chose n’allait définitivement pas sur l’île, songea Fifa en enjambant une tige épineuse. L’avancée était délicate mais avait le mérite de lui permettre de réfléchir. Ace avait mentionné des choses étranges et elle le constatait à présent de ses propres yeux. Le paysage était saccagé et si la dominante aurait aimé accuser les Trompeurs…

Elle savait que ce n’était pas le cas.

Une jument se tenait dans son cocon d’épines, un joyau d’émeraude piqueté de rubis. Fifa laissa ses yeux bleus glisser sur l’appaloosa puis sur la végétation luxuriante qui les environnait. La crème doutait que l’inconnue sache quoi que ce soit au sujet d’Hélium. Mais ce qu’il se passait sur l’île, peut-être… Elle s’éclaircit la gorge.

« Bonjour. Savez-vous ce qu’il s’est passé par ici ? On m’a dit que des choses étranges avaient lieu sur l’île… »

La crème avait eu d’autres chats à fouetter et pas le temps de s’inquiéter de ce qui semblait finalement le plus pressant. Rekkles pouvait attendre, décréta-t-elle en faisant un pas de plus pour se rapprocher de l’inconnue. En tant que dominante, elle devait aussi se préoccuper de ce genre de choses. Que faisaient Cyrius et Naëlle ?

Le monstre ne grogne pas, ne gronde pas. Ses pas ne sont pas lourds. Son odeur putride n’envahit pas l’air. Il ne crache pas. Sa salive corrosive n’attaque pas les ronces. Il ne fait rien, en vérité, des clichés du monstre qui vient effrayer les imprudents, croquer les innocents. Au fond, ce n’est peut-être simplement pas un monstre. Une pauvre créature rangée dans la mauvaise catégorie par un jugement trop hâtif. Les clichés ont la vie dure et l’imagination est parfois trop débordante.

La voix gratte au fond de la gorge inconnue, attire l’attention. Je tourne la tête pour voir apparaître le monstre. Une petite jument, trapue, dont les yeux bleus se fixent dans les miens. Aucune fumée, aucun halo malfaisant, rien de bien méchant. Juste une jument. Une femelle comme une autre à ceci près que son odeur n’est pas d’ici. Elle traîne avec elle un parfum autre, qui m’est inconnu.

Tiens donc, d’où peut-elle venir ?

Bonjour, salué-je avec un hochement de tête.

L’allure semble assurée, calme. Elle sait avoir le droit d’être ici. Ego disproportionné ou raison valable de se prendre pour une invité qui s’incruste chez son hôte dans son bon droit ? Ce n’est pas moi qui lui dirai de retourner dehors, en tout cas. Je ne serai pas le portier de la brindille au nez courbé.

Ce qu’il s’est passé… ?

Je songe, un instant, aux mots qu’elle attend. Les ronces sont-elles la raison de cette question ? Y avait-il, à cet endroit, autre chose, avant ? Une terre malsaine recouverte pour ne pas nuire davantage ? Un paradis luxurieux caché au monde pour ne pas qu’il le souille ? Peu importe, en vérité.

Des choses étranges, oui, dis-je, songeuse. J’en ai entendu parler. Des bruits, des traces, des mutilations dans le paysage de l’île.

Les yeux bleus reviennent sur la jument crème, détaillent son corps trapu, la force de ses muscles, l’intelligence dans l’autre regard azuré. Est-ce Cyrius, qu’elle cherchait ? L’étrange mâle a donné, paraît-il, une grande fête. Peut-être est-il posé dans un coin à décuver ses excès pendant que le monde brûle autour de lui. Cela ne m’étonnerait pas.

Rien de naturel, à mon avis. La menace semble réelle, mais tout le monde n’en a pas encore conscience.

L’autre jument était calme, mais cela n’avait rien de surprenant. Aucune menace ne se profilait à l’horizon, le territoire n’était pas plus dangereux qu’un autre, bien que laissé en jachère. Il fallait se méfier des ronces, mais des recoins épineux sur Horse-Wild, il n’y en avait pas qu’un.

Mais il y avait peut-être un danger qui planait dans l’ombre et Fifa laissa ses prunelles bleues croiser celles de l’inconnue. L’appaloosa la salua et considéra un instant sa question avant de daigner à répondre. La crème plissa les yeux, sa façon de parler, en restant vague…

Cela ne lui disait rien qui vaille. Elle huma instinctivement l’air, ne perçut que l’odeur des Trompeuses. Son interlocutrice était apparemment à sa place sur le territoire de Cyrius. La dominante des Orphelines se demanda brièvement si elle se serait permis de chasser un intrus du territoire de son homologue. Et un Orphelin ? Elle cligna des yeux.

« Quels genre de bruits, de traces ? »

Elle ne demanda pas ce qui avait changé de le paysage, elle le constatait soudain de ses propres yeux. La végétation était comme tronquée, comme coupée net par des choses qui n’étaient de toute évidence pas des dents. Elle repensa à son propre territoire, y avait-elle remarqué quelque chose d’inhabituel ? Kokoï avait-elle mentionné quoi que ce soit… ?

Fifa n’en savait rien.

Si ce n’était pas naturel, de quoi s’agissait-il ? Quoi, ou peut-être bien qui, avait pu causer tant de ravages qu’on le considérait comme une menace ? Cela avait échappé à l’attention de quelques équidés, si elle en croyait cette jument, une inconnue. Autant y remédier.

« Pardon, je ne me suis pas présentée. Fifa, enchantée. »

Le bon jour semble compromis. La présence de la jument ne m’intéresse pas. L’intelligence au fond de ses yeux clairs réveille la prudence. Il est facile de pousser les cruches, de manipuler les idiotes, d’énerver les poufs. Il est plus dur de s’insinuer dans un esprit réfléchi. Je n’en ai pas l’énergie, ni l’envie. Cette suffisance qui lui fait croire qu’elle a sa place sur les terres d’un autre… voilà qui est intéressant.

Mes yeux bleus traînent sur les ronces. Quels genres ? demande-t-elle. Comme une exigence de quelqu’un qui a l’habitude qu’on lui réponde. Elle attendra. Je n’obéis pas aux ordres des inconnues. Je n’obéis pas aux ordres des gens connus non plus.

Je profite d’un petit instant de silence pour faire un pas en avant. Les ronces accrochent à nouveau les poils, grattent le sabot. Plus loin, le chemin semble presque dégagé, coupé des deux côtés pour libérer un passage à un petit animal. À un monstre fait de lames acérées, peut-être, condamné à laisser derrière lui les preuves de son existence, les traces du chemin qu’il a suivi.

Des traces, répondis-je vaguement, comme pour mieux réfléchir à ce que j’ai vu, me laisser le temps du souvenir. Allongées, sans griffes, parfois rayées. Bizarres.

Une autre ronce m’arrache un tic, un soubresaut furtif de la paupière. La douleur remonte la jambe et se plante dans l’esprit. Je glisse mes yeux bleus sur la blessure, les gouttes de sang qui suintent entre les poils sombres. Le danger est partout. Les prévenus pourront-ils le contrer ou se laisseront-ils mordre ?

Comme des râles, des grondements plus forts, plus longs que le tonnerre. Des coups de foudre qui effraient les oiseaux. Imaginez le bruit du danger. Vous n’êtes pas loin de la vérité.

La vérité, je la devine plus que je ne la sais. Quelques indices par-ci par-là. Plus de conversations que de véritables preuves d’un danger sur l’île. Il rôde pourtant. Sous plusieurs formes, toutes apparues au même moment. Horse-Wild pourra-t-elle survivre à tant d’épreuves ? Les ignorants continuent de rouler sur le monde sans s’en inquiéter. Un jour, ils ne pourront plus faire semblant.

Tant pis pour eux.

Les yeux bleus aussi roulent sur la jument crème. Fifa. La dominante des Terres Orphelines. De drôles de rumeurs circulent sur elle, sur ce qu’elle a fait pour avoir ce rôle, sur ce qu’elle est prête à faire des autres. Une ambition étrange, un caractère intéressant. Les mâles aiment se battre pour les femelles, qui pourrait la blâmer de leur donner de quoi se distraire ? Ils jacassent moins une touche de poil coincée entre les dents.

Gom Jabbar. Le monde s’entête à m’appeler Lady. Faîtes donc comme vous le voudrez. (Je détourne le regard pour me concentrer sur les ronces et rejoindre le petit sentier dégagé.) Alors, vous êtes dominante ?

Fifa regarda la jument avancer. C'était désagréable, de parler à quelqu'un qui lui tournait le dos. Cependant, elle ne dit rien et observa les alentours. Il était difficile d'imaginer ce que l'appaloosa décrivait et elle resta un peu plus longtemps silencieuse pour considérer ce que cela signifiait. Des traces sans griffes, mais pas celles d'équidés ? Qui pouvait faire ce genre de traces, alors ?

La dominante n'était pas certaine de vouloir le savoir. Mais il fallait le considérer et elle se demanda quelles décisions il lui fallait prendre dans l'éventualité que la menace était avérée. Elle compta mentalement les membres de son troupeau. Des êtres qui lui étaient proches, faisaient partie de sa famille pour certains… et Hyuna' qui ne mettait jamais les sabots sur les Terres Orphelines, sauf pour y créer le chaos.

Elle guiderait peut-être Kokoï à la Crypte Flamboyante plus tôt que prévu. La crème ne savait pas exactement ce qu'elle craignait, mais la peur pesait sur son échine. Fifa redressa cependant la tête pour écouter les présentations de la jument, qui la regardait à nouveau. Gom Jabbar. Pourquoi l'appeler Lady, dans ce cas ?

《 En effet, je veille sur les Terres Orphelines. 》

Et l'appaloosa, à quel troupeau appartenait-elle, si elle faisait partie de l'un d'eux ? La crème la suivit prudemment. Elle ne faisait pas confiance à Gom Jabbar et ne lui demanderait pas plus de précisions, puisqu'elle ne semblait pas disposée à partager les informations qu'elle possédait. Le sentier trouvait une fin abrupte un peu plus loin où Fifa s'arrêta, la tête penchée sur le côté.

《 Voilà qui est curieux, murmura-t-elle. 》

Fifa n’a pas l’air d’aimer cette rencontre. Qui s’attendait-elle à voir sur les Trompeuses ? Cyrius ? N’est-il pas porté disparu depuis cette étrange fête sur son territoire ? Je n’en sais rien. L’information m’intéresse peu. Lui ou un autre, à la tête du troupeau, voilà qui ne change pas grand-chose à ma situation. Il se pourrait même que je parte bientôt. Les Trompeurs ont l’air doués pour se déchirer eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin d’y être poussés.

La crème dit veiller sur les Orphelines. L’information attire mes yeux bleus sur elle. Je sonde son corps, la forme, la force de ses muscles. Elle paraît plus petite, de loin, mais je reste prudente. Rekkles aussi, paraissait plus petit dans le lac. Mais la taille ne confère d’avantage qu’à celui qui sait s’en servir. Autrement, elle n’est qu’une parade, un moyen de pression, de dissuasion sur le lâche.

Vous êtes loin des Orphelines, pour veiller sur elles. (Simple constat qui sort sans jugement.) L’heure est trop grave pour se promener sur les territoires voisins. Non ?

Je monte l’étrange sentier à pas mesurés. Sur les côtés, les ronces coupées net crient leur désespoir et caressent les sabots comme pour appeler à l’aide. Leur malheur ne me touche pas. Pas plus que le malheur de qui que ce soit sur cette île. Même le mien, dur à avouer, a fini par s’estomper, s’oublier, pour n’être plus qu’un mauvais souvenir, un cauchemar flou dont on a du mal à se rappeler.

Curieux ? Danger, est un mot plus adapté.

La fin du sentier marque la fin de ma marche, à quelques pas de Fifa. Je garde une distance prudente entre nous deux. Après tout… qui sait ce qu’elle est venue chercher sur un territoire qui n’est pas le sien ?

C’est peut-être là que Cyrius est tombé… (Les yeux bleus fouillent la fin du sentier, cherchent un indice d’un trou béant, d’un piège mortel qui aurait croqué les brindilles de l’arabe drogué.) Ou qu’il a sauté… Le pauvre s’est très mal entouré.

Une fumée sans feu, c’était bien le genre de chose qui aurait attisé la curiosité d’Hélium. Mais de là à ne pas le revoir depuis… Fifa songea de nouveau aux traces sans griffes. Son coeur rata un battement et s’emballa à la pensée que son ami était bel et bien en danger. Elle ne demanda pas à Gom Jabbar si elle l’avait vu, car les réponses cryptiques de la jument ne l’intéressaient pas. Pour ce qu’elle en savait, l’appaloosa lui donnerait une fausse piste à force de faire des mystères.

Elle sentit le regard de l’autre jument sur elle et se crispa, mais sa silhouette n’était plus aussi musculeuse que par le passé. La dominante trapue avait connu une gestation et prenait peu à peu de l’âge. La force de la jeunesse lui était passée et elle ne savait pas si elle en avait tiré des leçons, gardé de l’expérience. La crème craignait d’avoir manqué quelque chose en s’enfermant trop tôt, toujours trop tôt, dans des responsabilités dont elle n’avait pas réellement besoin.

Mais Kokoï n’était pas un poids et si Fifa s’était laissée aller, il était peut-être encore temps de se reprendre. Elle ne regrettait pas de s’être tournée vers Ace en se sentant menacée.

« Il faut parfois prendre un peu de recul, glissa-t-elle avec un faible sourire. Savoir ce qu’il se passe sur les territoires voisins pour mieux s’occuper du sien. »

La crème ne regrettait pas de s’être aventurée sur les Terres Trompeuses. Elle n’irait pas jusqu’aux Terres Secrètes, cependant. Gom Jabbar mettait un mot sur ce que lui inspirait les lieux et Fifa ne l’aimait pas, mais elle devait l’admettre. Un danger rôdait sur l’île, le genre de danger qui saccageait le paysage et laissait des traces étranges qu’on ne reconnaissait pas sur Horse-Wild. La crème n’avait jamais rencontré d’humains mais cette description leur correspondait bien. Son interlocutrice s’arrêta à ses côtés, pas trop près.

Cyrius, tombé ? La dominante plissa les yeux et darda ses prunelles bleues sur Gom Jabbar. De quoi voulait-elle parler ? L’alezan s’était-il encore absenté ? Il avait le don de bien choisir ses moments, comme beaucoup des dominants qui s’étaient succédés sur l’île. Fifa serra les dents. Elle doutait que son homologue soit en danger, s’il fuyait quelque chose ce n’était probablement pas ce qui les menaçait tous. Il avait déjà disparu une fois, après la naissance d’Hallelujah… La crème eut un pincement au coeur pour Superbia, laissée seule avec les jumeaux. Mais l’appaloosa avait raison.

« Il a tendance à s’accrocher aux cas désespérés, concéda-t-elle. Je ne sais pas si c’est de la naïveté ou un besoin de supériorité... »

Ce n’était pas Superbia qui allait surveiller les Terres Trompeuses en son absence mais elle imaginait bien Hallelujah s'approprier le territoire à défaut de gagner la loyauté du troupeau. L’isabelle n’était pas très diplomate, n’avait pas vraiment le contact avec les autres. Et Naëlle, comment s’en sortirait-elle, dans les évènements à venir ? Fifa était curieuse de le constater. La pie était jeune et inexpérimentée, saurait-elle apprendre sur le tas ou serait-elle balayée par la difficulté ? Seul l’avenir le lui dirait.

Quant à Fifa… elle n’était pas passée loin non plus, avait failli être submergée elle-même. Elle tourna les sabots et revint sur ses pas. La crème en avait assez vu, il fallait regagner les Terres Orphelines afin de s’occuper de son propre troupeau. Personne ne le ferait à sa place et si elle se montrait à la hauteur de ses proches, elle pourrait prouver qu’elle était la seule dominante réellement capable de veiller sur les équidés de l’île. La première chose à faire était de retrouver Hélium afin de le mettre en sécurité.

La crème se vante d’une pensée réfléchie, d’une stratégie de dominante parfaite. Je lui lance un regard en coin, désintéressée par ses actes, ses mots, elle, tout simplement. Qu’elle fasse ce qu’elle veut puisqu’elle se croit tout permis. Prendre exemple sur les Trompeurs semble une bien mauvaise idée contre laquelle, pourtant, je ne la mets pas en garde. Puisqu’elle est si maligne, elle saura que le troupeau n’est pas le meilleur de l’île. Mais y en a-t-il seulement un de meilleur que l’autre ?

La compagnie de la dominante est une chose étrange, comme une épine qui a été retirée du pied mais qui continue, des jours durant, à piquer. Une chose à laquelle l’on ne peut pas se soustraire facilement et qui, au fil du temps, tape toujours un peu plus sur un système défaillant. Le mien surchauffe et serait presque prêt à prier n’importe qui pour qu’elle s’éloigne d’ici.

Les mots de Fifa m’arrachent un sourire. Cyrius est un cas désespéré. À la fois aimé et critiqué de tous côtés, par ceux qui l’aiment et ceux qui ne l’aiment pas. Il est un être qui ne laisse pas indifférent, sur lequel tout le monde peut parler, tout le monde veut parler. Cela na rien d’une qualité. Les mots des uns, des autres, ne sont jamais tendres à son sujet. De mon avis, il l’a bien cherché.

Beaucoup des deux, j’imagine.

Les dominants ne sont-ils pas tous à la poursuite d’un besoin irrépressible de dominer les autres, d’écraser ceux qui leur sont inférieurs selon eux ? Fifa, Cyrius, Rekkles. Tous bouffés par une ambition qui les aveugle, même s’ils crient au monde que non. Ils ne comprennent pas la chose la plus simple au monde : si l’on monte, un jour ou l’autre, il faudra redescendre.

La jument crème, déjà, tourne les talons. La conversation ne lui plaît sans doute pas. Ou peut-être a-t-elle laissé tomber une partie de son ego pour s’inquiéter vraiment de la menace qui rôde sur l’île. Le doute me fait détourner les yeux de sa silhouette. Qu’elle fasse ce qu’elle veut. Je ne la retiendrai pas sur des terres qui ne sont pas les siennes.

Une fois sûre qu’elle ne reviendra pas, je choisis de me frayer un autre chemin parmi les ronces, à la recherche de leur mystère.

FIN